Loi sur l’ESS : les articles 59 et 60 donnent une définition de la … – Alternatives Economiques

Comme annoncé dans 31 juillet 2014 : la loi sur l’ESS. Un point avant une éventuelle révision nous reprenons, article par article, l’ensemble de la loi du 31 juillet 2014. Après les coopérative et les sociétés d’assurance, aux mutuelles et aux institutions de prévoyance nous abordons, avec les articles 59 et 60, le titre V, consacré aux dispositifs de soutien et d’accompagnement.
L’article 59 donne, pour la première fois, une définition légale de la subvention (voir Loi ESS. Article 59 : la définition légale de la subvention) en s’appuyant sur la jurisprudence des tribunaux ce qui entraine ce satisfecit du CNAJEP “La subvention, aujourd’hui définie par la loi, doit redevenir le principal moyen de financer le projet associatif. La relation entre pouvoirs publics et associations ne doit pas se réduire au financement de prestations sur commande .Le dialogue doit ainsi se développer avec les collectivités territoriales pour redonner à la subvention toute sa place dans la relation entre associations et financeurs publics.”
L’article 60, introduit en cours de débat parlementaire apporte une précision utile en affirmant que seules les subventions « en numéraire » sont prises en compte pour déterminer le seuil d’obligation de dépôt des comptes (voir Loi ESS. Article 60 : seules les subventions en numéraire sont prises en compte pour les obligations financières des associations)
Cette définition n’a pas donné un partage tranché entre ce qui relève de la subvention et ce qui relève de la subvention (voir Subvention ou marché public : le débat continue), même si elle fournit quelques balises utiles que certains s’efforcent d’expliquer (voir Quand un député explique au Gouvernement la différence entre marché et subvention) alors que d’autres feignent des les ignorer (voir De l’usage de la subvention pour assurer une prestation qui relèverait d’un marché public : exemple marseillais)
Mais elle montre aussi et peut-être (voir ) surtout les limites du droit puisque l’État et une majorité des collectivités ont, depuis le vote de la loi, accentué leur choix de la procédure du marché par rapport à la démarche de la subvention
Avis du CSESS
Rappel des objectifs visés en 2014 par l’article
L’étude d’impact (art. 10, p 45 et s), après avoir rappelé les montants en jeu, la typologie des associations bénéficiaires et la palette des collectivités qui les financent, constate que « Ce soutien public, indispensable au fonctionnement du monde associatif, est … en diminution constante.» Elle renvoie aux études de Viviane Tchernonog (CNRS, centre d’économie de la Sorbonne) qui montrent « une diminution de la fréquence des subventions publiques en six ans de 17 %, soit une baisse annuelle moyenne de 3 % tandis que les commandes publiques ont augmenté à un rythme très rapide : 73 % sur la période soit 10 % en moyenne annuelle. En 2005, les subventions publiques représentaient plus du tiers du financement total, soit un poids deux fois supérieur à celui des commandes publiques à la même date. Subventions et commandes publiques occupent désormais un poids comparable dans le budget total du secteur (respectivement 24 % et 25 %).»
Deux explications de ce recul de la subvention sont retenues : la crise économique qui contraindrait les entités publiques à restreindre leurs dépenses et les incertitudes juridiques sur le recours aux subventions.
Ces dernières découleraient de ce que la réglementation sur les marchés publics et les aides publiques a été renforcée, notamment par le droit européen, avec des sanctions à la clé, tandis que le régime juridique de la subvention serait resté d’origine purement jurisprudentielle, qui « reste source de contentieux ». L’étude d’impact ajoute toutefois que l’article 10 de la loi n°321 du 12 avril 2000 a instauré l’obligation de passer par une convention d’objectifs et de moyens pour les financements supérieurs à 23 000 € et que si la circulaire du Premier Ministre du 18 janvier 2010 relative aux relations entre les pouvoirs publics a défini la notion de subvention, elle n’est pas opposable aux collectivités territoriales.
L’article 59 du projet de loi vise donc à rétablir l’indispensable équilibre entre la voie des marchés publics et celle de l’attribution de subventions, en donnant un cadre normatif solide à ces dernières. Seule une disposition de nature législative pouvant inscrire dans le droit une définition précise et encadrée de la subvention, le gouvernement a souhaité répondre par ce biais « A la demande répétée des bénéficiaires de subventions, mais aussi de nombreuses collectivités territoriales soucieuses d’œuvrer dans un cadre juridique sécurisé… » en l’incorporant l’article 9‐1 de la loi n° 2000‐321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations dite « DCRA » [1]. L’objectif affiché est « … de préserver un tissu associatif entreprenant, innovant et capable de répondre aux besoins d’intérêt général que, selon les cas, les collectivités ne veulent pas ou surtout ne peuvent plus intégralement prendre en charge. » et de donnera à la subvention « toute l’assise juridique nécessaire au cadrage des démarches publiques. ».
Et l’étude d’impact de conclure sur un mode optimiste que « Cette sécurisation du recours à la subvention constituera une incitation à utiliser de manière plus équilibrée et judicieuse, selon les cas, la voie des marchés ou des subventions afin d’accentuer l’efficacité de l’action des associations bénéficiaires, de permettre une meilleure continuité de leur fonctionnement et d’améliorer la qualification professionnelle des personnes employées par elles. »
L’article 60 complète le premier alinéa de l’article L.612-4 du code de commerce qui détermine le seuil à compter duquel les associations recevant des subventions doivent établir des comptes annuels comprenant un bilan, un compte de résultat et une annexe. Il précise que seules les subventions en numéraire sont prises en compte pour sa détermination.
Appréciation des acteurs sur l’effectivité de l’application de l’article 59
Deux textes postérieurs à ces deux articles de la loi de 2014 sont venus compléter le régime de la subvention.
D’une part, la circulaire du Premier ministre du 29 septembre 2015 sur les nouvelles relations entre les pouvoirs publics et les associations rappelle en annexe 1 la nature et les caractéristiques de la subvention, qui la distinguent des contrats de la commande publique. Elle recommande de privilégier le recours aux conventions pluriannuelles et de verser dans ce cas les avances avant le 31 mars de chaque année et reconnaît aux associations le droit de conserver un « excédent raisonnable » sur les subventions reçues (cf ci-dessous).
D’autre part, la loi n° 2021-875 du 1er juillet 2021 visant à améliorer la trésorerie des associations consacre, au quatrième alinéa de l’article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, la faculté pour une OSBL de conserver, sous certaines conditions, tout ou partie d’une subvention n’ayant pas été intégralement consommée et fixe, à l’article 2, à 60 jours à compter de la notification de la subvention le délai dans lequel celle-ci doit être payée.
Sa définition légale, d’application étroite [2], semble avoir eu jusqu’à présent un effet limité sur le modèle économique des associations. Si la définition juridique de la subvention et sa distinction de la commande publique constituent une avancée, il n’en demeure pas moins, selon le HCVA, que l’analyse des aides publiques (ou fonds publics) à l’aune de cette définition peut aboutir, selon les usages de la loi, les conseils (avocats, experts comptables) et les autorités administratives, à des conclusions divergentes.
Selon Lionel Prouteau et Viviane Tchernonog [3], si la proportion ressources privées/ressources publiques reste à peu près constante et égale à 50 % entre 2005 et 2012, du côté des financements publics, les subventions ont reculé de 34 % à 24 % et la commande publique est passée de 17 à 25 % [4]. A l’intérieur des collectivités publiques, on relève également des évolutions substantielles entre 1999 et 2012 :
- un recul du financement de l’État de 15 % à 11,3 % et des organismes sociaux de 8,6 à 6,7 % ;
- une progression des départements de 9,3 % à 12,3 % et des régions de 2,9 à 3,5 % ;
- un recul des communes de 15,2 à 11,5 % ;
- une stabilisation des financements européens (1,2 et 1,1 %) ;
- une progression des autres financements publics de 1,5 à 3,2 %.
Selon la nouvelle enquête publiée en mai 2023 par V Tchernonog, en 2020 ces pourcentages montrent une certaine stabilisation sur la répartition des financements publics :
- État : 10%
- organismes sociaux : 8%
- départements : 12%
- régions : autour de 5%
- communes : 12%
- autres financeurs publics : 5%
Alors que les subventions représentaient 25% du budget global des associations en 2011, elles en représentent 20% en 2017. En 2020, ce taux reste à 20% du fait du COVID qui a vu le budget global des associations redescendre à 113 Mds€ alors qu’il était de 117 Mds€ en 2019.
Dans le même temps, la commande publique est passée de 17 % en 2005 à 29 % en 2020. Alors qu’en 2011, la commande publique et la subvention représentaient chacun un quart du budget des associations, on note au minimum 9 points d’écart entre commande publique et subvention.
Deux conséquences résultent de cette baisse de la subvention.
En dehors des chiffres de 2020 marqués par l’incidence de la crise sanitaire, les précédentes études ont toujours montré que les baisses des subventions sont en premier lieu amorties par une participation accrue demandée aux usagers. A titre d’exemple, quand la part des subventions est revenue de 34 % à 20 % entre 2005 à 2017, la participation des usagers au budget des associations est passée de 32 % à 42 %. Cette dernière est redescendue à 36 % en 2020 du fait de l’impact de la crise sanitaire notamment sur les associations sportives et culturelles.
Par ailleurs, le renforcement de la commande publique aux dépens de la subvention favorise les plus grosses associations au détriment des plus petites.
L’enquête de 2020 confirme l’accroissement des écarts entre :
- les plus petites associations (budget inférieur à 1 000€), qui sont de plus en plus nombreuses (31,5% des associations) mais représentant 0,2 % du budget associatif cumulé ;
- les plus grosses associations (budget > 500 K€) représentant 1,3% des associations mais 73% de ce budget global
- .les associations de taille intermédiaire (entre 10 K€ et 200 K€) sont donc moins nombreuses et captent une proportion moindre de ce budget global.
Les acteurs estiment aussi que les difficultés des associations sont, après la crise sanitaire qui a vu une stabilisation des subventions des collectivités territoriales, plutôt devant elles avec le retour de l’inflation, l’augmentation des taux d’intérêt, du coût de l’énergie et des matières premières et celle des salaires qui en découle.
En définitive, les associations observent que les directives gouvernementales sont mal appliquées :
- la convention trisannuelle n’est pas devenue la norme ;
- les appels à projet continuent à se développer au détriment de la subvention de fonctionnement ;
- des collectivités territoriales ont des pratiques d’octroi et de gestion de la subvention très différentes selon les services…
En un mot, la subvention reste principalement conçue comme un instrument de court terme ou comme un outil de cadrage étroit de l’intervention publique avec les AAP et AMI.
Propositions de modification ou de complément à apporter à l’article 59
La comptabilisation des subventions, modifiée lors de l’adoption en 2018 du nouveau plan comptable des associations, soulève également des remarques car il en a modifié le modèle économique. En dehors des subventions d’équipement, les règles comptables distinguent depuis lors deux régimes d’enregistrement, selon l’objet de la subvention de fonctionnement :
- au crédit : Compte 74 pour les subventions d’exploitation ; Compte 7715 pour les subventions d’équilibre.
- au débit : Compte 4417 pour les premières et Compte 4418 pour les secondes.
Cette distinction semble équivoque dans la mesure où la plupart des subventions visent à financer une activité, économique ou non, et pénaliser les associations dans l’obtention de soutiens régionaux à l’activité économique. Il y aurait donc lieu de discuter cela avec l’ANC.
Au titre du contrôle du bon usage des deniers publics, la Cour des comptes exige également une traçabilité élevée sur l’emploi des subventions, le recours à l’AAP étant supposé permettre cette meilleure traçabilité.
Si la subvention au sens de la loi ESS se limite aux hypothèses de dépenses facultatives librement décidées par les autorités administratives, il serait opportun, selon le HCVA, de clarifier la définition juridique de la subvention en précisant que l’allocation de fonds publics imposée par la loi sur la base d’une tarification ou bien de paramètres d’attribution ne constitue pas une subvention.
Le Mouvement associatif estime aussi que l’obligation de recourir à un commissaire aux comptes lorsque le montant des subventions reçues dépasse 153 K€ est fixée à un seuil trop bas. Par comparaison, les sociétés, quelles que soient leurs formes, doivent depuis la loi PACTE de 2019 faire certifier leurs comptes si deux des trois seuils suivants sont dépassés : 4 000 000 € de bilan ; 8 000 000 € de chiffre d’affaires HT ; 50 salariés. Les associations, oubliées lors du rehaussement de ces seuils en 2019, ont donc l’impression de subir, comme de coutume, un régime moins favorable que celui réservé aux entreprises lucratives.
Mettre réellement en œuvre la disposition législative permettant de conserver un excédent raisonnable sur subventions
Dans son avis du 13 avril 2018 sur le rapport « Pour une politique de vie associative ambitieuse et le développement d’une société de l’engagement », le HCVA renvoie dans son annexe 3 à son avis de novembre 2012 sur le paquet Almunia où il rappelle que la notion de « bénéfice raisonnable » du droit européen n’est pas applicable au secteur associatif : « La notion de bénéfice raisonnable se fonde sur le taux de rendement interne du capital et n’est donc pas adaptée au secteur associatif pour lequel la notion d’excédent doit être préférée, afin de bien marquer la différence de nature avec la notion de bénéfice utilisée pour les organismes à but lucratif. Le coût de rémunération des capitaux sert en effet précisément en économie marchande à rémunérer les actionnaires, ce qui n’a pas lieu d’être pour le secteur associatif ».
La circulaire du Premier ministre du 29 septembre 2015 sur les nouvelles relations entre les pouvoirs publics et les associations a donc retenu la notion d’ « excédent raisonnable » :
“Le montant de la subvention ne doit pas excéder le coût de mise en œuvre, ce qui suppose l’établissement d’un budget prévisionnel. Il est cependant possible, à la faveur de la mise en œuvre du projet que l’association réalise un excédent ; cet excédent, sous peine d’être repris par l’autorité publique, doit pouvoir être qualifié de raisonnable lors du contrôle de l’emploi de la subvention.”.
Si certains, comme le MES, ont suggéré de rehausser les dispositions de cette circulaire au niveau législatif pour les rendre opposables aux collectivités territoriales et pour sécuriser le risque de basculer dans l’activité concurrentielle et marchande pour les services non économiques d’intérêt général, une réponse de principe vient d’être apportée récemment par l’article 1er de la loi n° 2021-875 du 1er juillet 2021 visant à améliorer la trésorerie des associations, qui a complété l’article 10 de la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, en prévoyant que la convention qui attribue une subvention fixe « …les conditions dans lesquelles l’organisme, s’il est à but non lucratif, peut conserver tout ou partie d’une subvention n’ayant pas été intégralement consommée. »
Trop de collectivités publiques ont encore du mal à admettre que des OSBL bénéficiaires d’une subvention puissent conserver, en application de cet article 10 de la loi du 12 avril 2000, tout ou partie de l’excédent constaté à son sujet.
Des régions imposent, par exemple, que l’association soit en situation de déficit pour pouvoir conserver un excédent sur subvention ; d’autres n’admettent toujours pas qu’un budget d’association soit présenté avec un excédent lorsqu’il s’agit de fixer un prix de journée et exigent qu’il soit au mieux présenté à l’équilibre !
Le HCVA avait très bien pressenti toutes ces difficultés d’application dans son avis du 13 avril 2018 en indiquant qu’il restait à préciser ce que signifie «raisonnable» et à essayer de mesurer le niveau de fonds propres nécessaires en fonction de l’association : selon sa taille (employeuse ou non), son activité, son projet à plus ou moins long terme.
Il est donc urgent de dissiper ce flou sur la notion d’excédent raisonnable, de sécuriser la constitution d’excédents versés aux réserves/fonds propres associatifs pour pérenniser les associations [5] et leur assurer un fonctionnement sain. Un ratio de 10 à 20% de la subvention pourrait ainsi être consacré au renforcement structurel des associations.
Car parmi les justifications sur le montant nécessaire de fonds propres figure celle pour toute association employeuse de pouvoir faire face à ses obligations sociales vis-à-vis de ses employés en cas de cessation d’activité ou de liquidation.
Il faut aussi observer que les apports en numéraire ou en nature restent peu utilisés par les collectivités territoriales pour renforcer le haut de bilan des associations. Ceci mérite aussi d’être évoqué avec leurs représentants.
Il reste donc un long travail d’éducation et de formation à conduire auprès de tous les décideurs publics dans ce domaine pour que l’application de l’article 1er de la loi du 1er juillet 2021 devienne effective. L’on touche ici aux limites de la loi : même rehaussées à son niveau, ses dispositions restent inappliquées lorsque prévaut une longue histoire et pratique administrative, assez discrétionnaire, de la subvention. Et penser les associations comme des partenaires dans la co-construction des politiques publiques selon les termes de la circulaire de 2015 ne va pas de soi pour les collectivités et les administrations publiques. C’est donc d’un urgent et profond changement de mentalité qu’il s’agit.
Propositions de modification ou de complément à apporter à l’article 60
Pour le HCVA, il est essentiel de maintenir l’exclusion des aides autres qu’en numéraire de la définition de la subvention au sens de l’article L.612-4 du code de commerce.
Cette exclusion a permis d’éviter que de petites associations avec peu de moyens financiers mais disposant d’aides publiques en matériel, soient tenues de nommer un commissaire aux comptes (coût supplémentaire évité et mesure de simplification).
Appréciation sur la nécessité d’une évaluation plus approfondie
Les acteurs estiment qu’il n’est pas nécessaire de procéder à une évaluation plus approfondie de ces deux articles mais pour l’État et les collectivités territoriales de mettre énergiquement en œuvre des orientations et des dispositions satisfaisantes au plan des principes mais demeurées largement inappliquées.
Avis personnel
Une nouvelle fois l’application de l’article 59 montre la prééminence du politique sur le juridique.
La loi peut permettre ou interdire : ici nous sommes dans une situation où la loi a permis de légitimer le recours à la subvention, levant le risque juridique que certains se complaisaient à évoquer pour privilégier le marché public. Mais la loi ne peut pas obliger les décideurs à mettre en cohérence un discours de soutien à une vie associative capable d’initiative et une pratique fondée sur leur transformation en prestataire pour les services définis par la seule puissance publique