« La religion de la Rome antique était pleine de sens et continue de … – Le Monde

Depuis cinquante ans, l’historien John Scheid tente de percer les secrets de la religion des Romains de l’Antiquité. Des sols de bois sacrés aux sources littéraires et philosophiques, en passant par les cimetières exhumés ou les dizaines de milliers d’ex-voto et d’autres inscriptions religieuses sur pierre ou sur bronze parvenus jusqu’à nous, ce professeur honoraire au Collège de France, membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, a passé au crible les différents types de sources disponibles pour comprendre la manière dont les citoyens de la cité éternelle se représentaient leurs dieux, et comment ils entraient en communication avec eux. Dans son dernier ouvrage Les Romains et leurs religions. La piété au quotidien (Cerf, 329 pages, 24 euros), il propose une synthèse passionnante de ses travaux les plus récents.
Beaucoup d’historiens se sont spécialisés dans la Rome antique, mais peu ont creusé l’aspect religieux autant que vous. D’où est venu cet intérêt ?
Jusqu’au début des années 1970, je n’étais pas du tout dans ce type de recherche. Etudiant, je me suis tourné vers Rome parce que je m’intéressais au latin et au grec ancien, et notamment vers l’étude des carrières des sénateurs, mais la plupart des sujets intéressants avaient déjà été traités ou attribués. Je suis tombé un peu par hasard, lors d’un cours à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE), sur une inscription mentionnant les frères arvales – un corps de prêtres antique dont on sait très peu de choses.
A l’époque, personne ne s’était vraiment intéressé à eux. Le religieux était perçu comme bizarre et faisait un peu peur aux historiens. J’ai décidé d’y consacrer ma thèse et le début de ma carrière universitaire, car il y avait un créneau à prendre. Mais, dans mon esprit, je ne faisais pas d’histoire religieuse : j’étais un pur historien de l’administration et j’étudiais, à ce titre, un corps sacerdotal public de l’Etat romain, qui comprenait en son sein des sénateurs, qui célébrait, à côté du culte d’une déesse, Dea Dia, les anniversaires des empereurs ou de leur entrée en fonctions, etc.
C’était un sujet religieux, certes, mais indirectement. Il m’a fallu attendre 1984 pour enfin publier des premiers travaux portant directement sur la religion (Religion et piété à Rome, La Découverte). Je m’inscrivais alors en réaction à une opinion assez répandue affirmant que la religion des Romains était décadente au moins depuis le IIIᵉ siècle avant Jésus-Christ. Beaucoup d’antiquisants pensaient que c’était une religion sans foi, sans croyance, cynique et, en définitive, morte depuis longtemps.
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