« Contente que mon record soit toujours là » : 25 ans après … – Le Parisien

Ses cheveux peroxydés, sa foulée spectaculaire et ce chrono complètement dingue de 10′’73… Le 19 août 1998, Christine Arron s’emparait du record d’Europe du 100 m. Vingt-cinq ans plus tard, jour pour jour, la marque demeure. L’ancienne sprinteuse, désormais adjointe aux sports à Champigny (Val-de-Marne) sera fêtée lors d’une soirée au Club France, vendredi prochain.
Quels souvenirs vous reste-t-il de cette soirée du 19 août 1998 ?
CHRISTINE ARRON. Ça commence à dater ! Après être restée au pied du podium en 1997 (sur 100 m, aux Championnats du monde), je devais confirmer mon statut international, c’était le moment pour moi. J’avais vraiment confiance en mes capacités, je savais que j’avais une petite marge sur mes concurrentes (notamment la Russe Privalova et la Grecque Thanou). Mon objectif, c’était clairement la médaille d’or, le titre européen qui reste à jamais. Je ne pensais absolument pas au record, mais vraiment pas !
Cet été-là, la victoire de l’équipe de France de football à la Coupe du monde (le 12 juillet) a été bien plus présente dans l’esprit des gens que les résultats de l’athlétisme ! Peut-être qu’on aurait plus parlé de mon record si ça n’avait pas été au même moment (rires) !
Lorsque le chrono de 10′’73 s’affiche, quelle a été votre réaction ?
Je ne sais pas ce qu’il s’est passé dans ma tête, mais en fait, je n’ai même pas vu le chrono ! C’est bien après, lorsque j’ai dû me rendre au contrôle antidopage, que le médecin de l’équipe de France m’a prévenu que j’avais battu le record d’Europe. Pourtant, entre-temps, j’ai été interviewé, on a forcément dû me parler du chrono… C’est fou, mais je n’en ai aucun souvenir (rires). Peut-être dans l’euphorie de ce premier titre. Ce record d’Europe m’a pourtant propulsé dans une dimension bien différente.
Cette course, vous l’avez revue ?
Pas tout de suite, mais c’est forcément quelque chose que je revois avec plaisir. Je préfère toutefois ma course en demi-finale, qui était plus aboutie. Je fais 10′’81 en relâchant sur la fin, cette course valait certainement mieux que les 10′’73 de la finale.
Trois jours après ce record d’Europe, vous décrochez l’or avec le relais 4 x 100 m, au terme d’une dernière ligne droite complètement folle où vous comblez un retard d’environ 6 m…
Au niveau sensations, de la plénitude de ma foulée, c’est vraiment la course que je préfère. Elle est bien plus phénoménale que mon 100 m. À mon retour à Paris, les gens me parlaient d’ailleurs beaucoup plus du relais que de mon record d’Europe. Sans doute parce que ce qu’on aime dans le sport, c’est le suspens et les vibrations que ça procure. Une remontée en relais est toujours plus impressionnante que sur un 100 m. Je me souviens de cette impression visuelle où je me dis ouh la la, on est loin et de ce moment où je sens que je prends de la vitesse et que je comprends que c’est possible.
Comment sort-on d’un championnat aussi abouti que celui-ci ?
Tout ça était nouveau pour moi et ça faisait beaucoup. Il a fallu s’habituer à cette nouvelle dimension, j’avais parfois du mal. Les gens qui te regardent quand tu fais tes courses, qui scrutent ce que tu mets dans ton chariot, ceux qui viennent te demander un autographe quand tu dînes au restaurant… J’étais harcelée au téléphone, en bas de chez moi, c’était un peu difficile au début.
Vingt-cinq ans après, je me rends compte que ces championnats ont marqué les Français. Même si ce n’est pas aussi intense qu’à l’époque, il ne se passe pas une semaine sans que quelqu’un me reparle de ma carrière ou de cette course. C’est un beau cadeau de se dire qu’après autant de temps, je suis encore présente dans l’esprit des Français, ça me touche vraiment.
Vous avez poursuivi votre carrière jusqu’en 2012. Avez-vous tenté jusqu’au bout de faire mieux que ces 10′’73 ?
Bien sûr, ça a été dans ma tête pendant longtemps. Certains se sont demandé comment il avait été possible qu’entre 1997 et 1998, je gagne 3 dixièmes. Il faut remettre les choses dans leur contexte. Aux Mondiaux de 1997, j’avais échoué sur 100 m, j’étais une coureuse de 200 m et je n’avais alors pas de préparation spécifique sur 100 m. En 1998, je me suis concentrée dessus, j’avais une marge de progression énorme.
J’étais aussi persuadée que mes 10′’73, c’était le début de quelque chose. Ça m’a obsédé pendant longtemps, au point de m’empêcher de retourner sur 200 m. Je pense que je valais moins de 10′’70. Mais je ne l’ai pas fait. La preuve qu’en sport, on ne maîtrise pas tous les paramètres. J’ai cependant eu une belle carrière, en étant notamment finaliste de tous les Championnats du monde auxquels j’ai participé.
Vous avez atteint un niveau de performance qu’aucune sprinteuse française n’a approché ensuite. Suivez-vous les résultats des Bleues aujourd’hui ?
Très peu car la vie fait que je suis happée par autre chose, mais ça m’intéresse toujours et je sais que ça ne progresse pas beaucoup. J’ai été choquée par l’absence de sprinteuses et d’un 4 x 100 m féminin aux Mondiaux d’Eugene, l’an passé. Ça montre qu’il y a un vrai problème au niveau du sprint français, pas seulement chez les femmes. À mon époque, on avait une densité chez les filles bien plus intéressante. Je ne suis pas à l’intérieur pour savoir ce qui cloche, mais ça m’interpelle. Même avec l’annonce des JO à Paris, en 2017, ça n’a pas bougé.
Vous serez à Budapest cette semaine, pour fêter un record qui tient toujours un quart de siècle après…
C’est fou ! Je suis contente que mon record soit toujours là, ça montre que c’était une performance de très haut niveau. Encore aujourd’hui d’ailleurs, même si avec les super pointes qui vont vite on assiste à une progression du sprint mondial. Je suis d’autant plus fière que j’étais à l’époque la troisième femme la plus rapide de l’histoire, derrière des filles comme Florence Griffith-Joyner et Marion Jones. On peut imaginer que c’était la meilleure performance à l’époque (Marion Jones a avoué s’être dopée, alors que des soupçons demeurent sur les performances de Florence Griffith-Joyner, recordwoman du monde en 10″49 depuis 1988 et décédée en 1998)
Vous arrive-t-il d’évoquer votre passé de sportive avec vos enfants ?
Mon fils est né en 2002, il a vécu la 2e partie de ma carrière, les moments étaient encore intenses. Ma fille, je lui en parle et je lui dis il n’y a que toi qui es autorisée à battre mon record d’Europe, alors mets-toi au travail (rires) ! Elle s’est tournée vers la danse mais faisait de l’athlétisme avant le confinement. Elle m’a dit qu’elle allait se réinscrire à la rentrée.
Cassandre a 10 ans, elle a de grandes jambes et est très rapide, je pense qu’elle a des qualités. Mais ce n’est pas suffisant, même quand on est talentueuse. Le sport de haut niveau implique de se donner à fond et d’avoir vraiment envie.
L’an prochain, les Jeux olympiques auront lieu en France. C’est un événement que vous auriez aimé vivre en tant qu’athlète ?
Oui ! Je n’ai jamais été très chanceuse aux Jeux alors peut-être que ceux-là m’auraient porté chance. J’ai eu la chance de vivre les Championnats du monde à Paris en 2003, dans une ambiance complètement folle. On ne peut pas être partout à travers le temps.