Au Haut-Karabakh, la famine s’installe et la situation humanitaire se … – lalibre.be
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Le Conseil de sécurité de l’Onu s’est penché mercredi après-midi à New York (donc dans la nuit, à l’heure de Bruxelles) sur la détérioration de la situation humanitaire au Haut-Karabakh, sur fond des tensions croissantes entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui se disputent ce territoire. Cette réunion d’urgence a été convoquée en réponse à une lettre envoyée par Mher Margaryan, ambassadeur de l’Arménie auprès des Nations unies, pour tirer la sonnette d’alarme face à la famine qui guette les 120 000 habitants, quasi-exclusivement arméniens, de cette région séparatiste enclavée dans le territoire de l’Azerbaïdjan. En effet, Bakou bloque depuis plusieurs mois le corridor de Latchine, seul axe routier reliant le Haut-Karabakh à l’Arménie et au monde, et est accusé d’avoir resserré l’étau en juin.
Résultat : “la grave pénurie de produits essentiels, notamment de nourriture, de médicaments et de carburant” place la population de cette enclave “au bord d’une véritable catastrophe humanitaire”, alerte Erevan. Une observation partagée par un groupe d’experts de l’Onu, qui avaient déjà sonné l’alerte, début août, quant à “l’urgence humanitaire” provoquée par le blocage du corridor de Latchine.
Un “génocide”
Luis Moreno Ocampo, ancien premier procureur de la Cour pénale internationale, est allé jusqu’à dénoncer un “Génocide contre les Arméniens en 2023”, dans son rapport publié le 7 août. Selon cet expert reconnu en droit international, “la famine infligée aux Arméniens du Haut-Karabakh” représente en effet “l’archétype du génocide par l’imposition de conditions de vie destinées à provoquer la destruction d’un groupe” ethnique. Mardi, le site arménien Civilnet annonçait d’ailleurs qu’une première personne était décédée, à Stepanakert, capitale du Haut-Karabakh, des suites d’une malnutrition chronique.
Dès fin juillet, le Comité international de la Croix-Rouge, la seule organisation à avoir accès à cette région, s’est dit être dans l’incapacité de continuer à y livrer de l’aide humanitaire. “Les gens manquent de médicaments vitaux et de produits essentiels […]. Les fruits, les légumes et le pain sont de plus en plus rares et coûteux. D’autres produits alimentaires tels que les produits laitiers, l’huile de tournesol, les céréales, le poisson et le poulet ne sont pas disponibles”, a expliqué l’organisation sur X (anciennement Twitter), exhortant les autorités à parvenir à un “consensus humanitaire” pour alléger les souffrances de la population.
Face à ce constat, Edem Wosornu, directeur des opérations et du plaidoyer du Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA) de l’Onu, a rappelé mercredi que “le droit international humanitaire est très clair” quant à l’obligation “de permettre et faciliter le passage rapide et sans entrave de l’aide humanitaire”.
Mercredi, la France et les Etats-Unis, membres permanents du Conseil de sécurité, ainsi que l’Union européenne, en sa capacité d’observateur à l’Onu, ont donc à nouveau appelé Bakou à faire cesser ce blocage.
Bakou et Erevan se rejettent la faute
Mais au niveau politique, l’heure est à l’escalade entre les deux pays, qui se sont déjà livré deux guerres pour le contrôle du Nagorny-Karabakh (nom russe de la région). La première avait éclaté en 1991, lorsque ce territoire a déclaré son indépendance, dans la foulée de la chute de l’URSS. Le conflit avait causé la mort de 30 000 personnes et créé des centaines de milliers de réfugiés, avant de déboucher sur un contrôle arménien du Haut-Karabakh et d’une partie de l’Azerbaïdjan. Cependant, en 2020, après six semaines d’un second conflit suivies d’un fragile cessez-le-feu négocié par la Russie, Bakou a repris la main sur de nombreux territoires. Moscou a alors déployé sur place près de 2 000 soldats pour surveiller le respect de l’accord arraché aux deux anciennes républiques soviétiques, qui prévoyait notamment le maintien d’un corridor entre les territoires séparatistes du Nagorny-Karabakh et l’Arménie.
Vendredi dernier, le Premier ministre arménien, Nikol Pachinian, a estimé auprès de l’AFP qu’une nouvelle guerre de son pays avec l’Azerbaïdjan était “très probable”, accusant ce dernier de violer le texte de 2020, ainsi que les ordonnances de la Cour internationale de justice, datant de février et juillet, sur le rétablissement de la circulation sur le corridor de Latchine. De son côté, Bakou dénonce “une manipulation politique arménienne”, accusant Erevan de violer l’intégrité du territoire de l’Azerbaïdjan et de se servir de cet axe routier pour faire entrer des armes dans le Haut-Karabakh. Mercredi, face au Conseil de sécurité de l’Onu, les deux parties ont chacune réitéré ces arguments, s’accusant mutuellement d’envenimer la situation.
Tout en niant toute responsabilité dans le blocage du corridor de Latchine, Bakou propose une autre voie pour acheminer les produits nécessaires vers le Nagorny-Karabakh, via la ville azerbaïdjanaise d’Aghdam (à l’Est). Une option dont l’Arménie refuse d’entendre parler, puisqu’elle laisserait la région coupée de son territoire et ainsi totalement à la merci de l’Azerbaïdjan. L’Union européenne a également indiqué que cela “ne pouvait être considéré comme une alternative” à la réouverture de l’axe vers l’Arménie.
L’UE prise dans un incident sur le terrain
Dans ce contexte, le conflit a tendance à s’intensifier sur le terrain. Des membres de la mission d’observation de l’Union européenne en Arménie (EUMA) ont ainsi été pris, mardi, dans un échange de tirs à la frontière avec l’Azerbaïdjan. “Nous pouvons confirmer qu’une patrouille de l’EUMA était présente […]. Aucun membre de l’EUMA n’a été blessé”, a indiqué la mission sur X (anciennement Twitter), alors qu’elle avait initialement démenti tout incident. Là encore, Erevan accuse “des unités des forces armées azerbaïdjanaises” d’avoir ouvert le feu, tandis que Bakou qualifie cela d’“impossible”, ses troupes ayant été informées de la présence des Européens à cet endroit.
En plus d’avoir lancé en février une mission d’observation sur le terrain, doté d’une centaine d’individus, l’UE s’est maintes fois efforcée de jouer les médiateurs entre les deux pays. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a ainsi organisé plusieurs réunions à Bruxelles, avec le président azerbaïdjanais, Ilham Aliyev, et le Premier ministre arménien, Nikol Pashinyan. Mais la tension a continué à monter.
Fin juillet, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a ainsi exprimé la “profonde inquiétude” de l’UE quant à “la grave situation humanitaire qui affecte la population locale dans l’ancienne région autonome du Haut-Karabakh”.
Des enjeux géopolitiques
La perspective d’une nouvelle escalade du conflit inquiète d’autant plus qu’il est teinté d’enjeux géopolitiques. Dans sa recherche d’une alternative au gaz russe, dont elle cherche à se passer depuis le début de la guerre en Ukraine, l’UE s’est tournée notamment vers l’Azerbaïdjan. En mai dernier, la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, s’est ainsi rendue à Bakou, qualifié de “partenaire énergétique crucial”, pour y signer un accord visant à doubler, d’ici à 2027, les achats de gaz azerbaïdjanais par l’UE. À ce titre, un aggravement de la situation au Nagorny-Karabakh, du fait du blocage de Bakou, mettrait l’Union dans l’embarras. Mais lui rappellerait à nouveau en quoi des liens énergétiques avec un régime autoritaire peuvent s’avérer problématiques.
Par ailleurs, la crise du Nagorny-Karabakh, mêle et oppose aussi les intérêts de la Turquie et de la Russie. La première soutient plus ou moins ouvertement l’Azerbaïdjan – mercredi à l’Onu, Ankara a d’ailleurs corroboré “les inquiétudes” de Bakou face aux provocations de l’Arménie, dénonçant aussi la tentative de celle-ci de “d’exploiter les plateformes internationales” à des fins politiques. La seconde tente de ménager les deux anciennes républiques soviétiques, même si elle semble plus proche de l’Arménie – selon le Deutsche Welle, Moscou fournit des armes aux deux parties, mais accorde un prix préférentiel à Erevan. L’Arménie, tout comme le Kazakhstan, est tout particulièrement suspectée d’aider la Russie à contourner les sanctions européennes et donc à se procurer des technologies pour faire la guerre.