Guillaume Vermette et Marie Veillette: deux clowns en mission en … – Le Droit
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Au petit matin, le jour de notre entrevue en visioconférence, lui et sa collègue Marie Veillette ont dû se mettre à l’abri alors que survenait un bombardement de missiles, à Lviv, une ville de l’ouest de l’Ukraine, située à environ 70 km de la frontière polonaise. Non loin de là, des centaines de logements et de maisons ont été détruits, et on compte encore les pertes humaines.
Pourtant, Lviv n’est pas située dans la zone de guerre la plus intense du pays.
Les deux Trifluviens participent à une mission internationale, depuis le 3 août dernier, dans cette région. À quelques jours de leur retour à Trois-Rivières, Guillaume Vermette nous a raconté les hauts et les bas de leur court séjour dans un pays en guerre.
Amour et pizza
Ce qu’il découvre dans ses interactions avec les enfants du quartier, souvent des réfugiés de l’intérieur venus de régions plus chaudes, auprès des soldats mutilés dans les hôpitaux, c’est toujours la même chaleur humaine.
La force de ce peuple: «Une résilience, un courage impressionnant… Après un événement comme ce matin, les gens reprennent leur train-train quotidien, ils rient en fumant une cigarette sur le trottoir, ils s’accrochent à une vie normale. Moi, ça m’impressionne.»
Marie et Guillaume sont venus en Ukraine afin de prêter main-forte, dans leurs habits colorés, à l’organisme écossais Siobhan’s Trust, dont la mission de solidarité se traduit par la distribution de pizza. «Faites de la pizza, pas la guerre», c’est leur slogan. Dans certaines zones où le conflit fait rage, l’enjeu de la faim est bien réel pour les civils. À Lviv, c’est un peu moins le cas. «La pizza, ici, devient plus un prétexte pour créer une connexion humaine. Offrir de la chaleur humaine, des sourires, de l’amour…»
«On utilise toutes nos forces de clown, de cirque, de clown thérapeutique et humanitaire pour amener leur initiative encore plus loin.» Ainsi, pendant que l’équipe associée installe ses fours à pizza dans un quartier, Guillaume et sa complice divertissent les gens avec leur spectacle. En milieu hospitalier, auprès des soldats, ce sont davantage leurs talents de clowns thérapeutiques qui entrent en jeu.
«Le but, c’est de distribuer un peu d’amour, d’espoir, de solidarité, et d’accueillir toutes les émotions que les gens ont à nous partager sans jugement.» Rien de bien différent de ce que son équipe de la Caravane philanthrope réalise au Québec, lorsqu’elle se présente en CHSLD.
«À Lviv, quand tu ne le sais pas qu’il y a la guerre, c’est presque la vie normale. Jusqu’à tant qu’il arrive un événement comme celui de ce matin.» Ou bien qu’un soldat, ayant perdu un bras ainsi qu’une bonne part de sa santé mentale au combat, ne l’étreigne de toutes ses forces, avec son moignon, touché par l’attention que lui porte ce clown venu du Canada.
Un réveil brutal
Dans ce petit appartement loué par Siobhan’s Trust, les bénévoles de partout dans le monde se relaient, à raison de six à huit personnes composant l’équipe d’intervention à Lviv. Une autre équipe coordonnée par le même organisme distribue de la pizza plus près de la zone de front, à Zaporijia, dans l’est du pays.
«Ici, c’est devenu assez habituel qu’on entende les sirènes qui se déclenchent partout dans la ville et sur nos téléphones», raconte Guillaume. Après les vérifications d’usage, le niveau de risque s’avère habituellement plutôt faible. «Ça ne se rend presque jamais ici.»
Ce matin-là, c’était clairement moins rassurant. La sirène a été suivie de près d’un bruit d’explosion. «Badaboum!», en langage de clown.
Privés d’électricité, les deux saltimbanques ont passé une heure dans la pièce la plus sécuritaire de l’appartement en cas de bombardement: la salle de bain. Au son des explosions, la peur s’est installée. Même si Lviv est considérée comme une oasis de paix, il n’en reste pas moins que l’Ukraine est un pays en guerre. L’attaque pour laquelle on dénombrait une quinzaine de victimes, dont une enfant de 10 ans, ne rend tout le drame que plus réel.
Conflit de loyauté
Quand on connaît le parcours de notre clown humanitaire national, on sait qu’il a souvent visité la Russie dans ses missions, tantôt dans les hôpitaux, tantôt dans les orphelinats. Guillaume Vermette se débrouille d’ailleurs dans la langue qui est, en Ukraine, celle de l’ennemi.
Une situation émotionnellement difficile pour celui qui a désormais des amis de part et d’autre de la frontière et qui ne voudrait pas voir ces liens brouillés par les prises de position belliqueuses de certains dirigeants.
«J’avais peur de plein d’autres affaires.» Celle-là, il ne l’avait pas vu venir.
Dans la rue, dans les bars, dans les cours d’école, la haine du Russe se propage comme un virus.
«Je suppose que quand tu es victime de tant d’horreur, d’atrocités et de violence, que tu vois des gens mourir, être blessés, ça incite les gens à la haine et à la peur. Je ne peux pas juger.» En aucun cas, Guillaume Vermette ne se positionnerait comme un supporteur de Vladimir Poutine ou de son gouvernement. «Mais le peuple russe, je l’aime d’amour!»
Au cours des 18 derniers mois de conflit, il a même vu des amis russes fuir le pays, en guise d’opposition à cette guerre, d’autres être emprisonnés pour avoir manifesté pacifiquement cette opposition. Mais là, auprès des Ukrainiens victimes de la guerre, il se doit de taire cette sympathie, de cacher même sa connaissance de la langue, et même, par moments, de supporter cette haine par son silence.
«C’est une des choses que je trouve le plus difficile», confie Guillaume Vermette. Surtout quand ça vient des enfants.
Loyauté, générosité, solidarité, amitié, hospitalité, les mots qu’il utiliserait pour décrire le peuple ukrainien pourraient lui servir, de la même manière, pour décrire celui qu’il connaît de l’autre côté de la frontière, au-delà de la zone de guerre. «Ils sont pareils! Mais je ne peux pas leur dire…», regrette ce pacifiste dans l’âme. «Je pense qu’ils ont tellement plus en commun que de différences.»
Par-delà les missiles, les blessures de guerre et la haine qui s’en nourrit, alors que des gens fuient le pays par millions, la présence des clowns et de leurs acolytes armés de pizzas réchauffe le cœur de ceux qui restent. La reconnaissance s’exprime à profusion, par les larmes, les rires, les câlins et les «je t’aime» qu’ils reçoivent sans cesse.
Le réel de la guerre
«Il y a quelque chose d’irréel», dit-il. «Derrière les sourires, il y a un besoin, il y a un traumatisme, une histoire insoupçonnée, un drame.» Comme chez ce petit garçon qui ne voulait pas les laisser partir, lançant des «I love you, I love you» à ces inconnus colorés, mais qui, on l’apprendra plus tard, est désormais seul au monde. Toute sa famille a été décimée par le conflit.
«C’est réel, la guerre. C’est des humains qui vivent des drames innommables, inimaginables.» Tout en invitant ses concitoyens à développer leur sensibilité, leur empathie et leur solidarité envers les victimes de cette guerre en Ukraine, Guillaume les met en garde contre le sentiment de haine qui ne fait qu’alimenter les guerres.
Guillaume Vermette et Marie Veillette ont mené cette mission humanitaire à leurs propres frais et recueillent des dons pour la financer. Dans quelques semaines, le clown humanitaire repartira décrocher des sourires à d’autres victimes d’un autre conflit, dans un camp de réfugiés situé en Jordanie, à la frontière de la Syrie.