Invité culture – Cinéma: le réalisateur mauricien David Constantin – RFI

RFI : Bonjour David Constantin, vous êtes à la fois réalisateur de films de fiction et de documentaires. Comment s’opère ce cheminement intellectuel entre la fiction et le documentaire ?
David Constantin : J’ai toujours oscillé entre les deux. J’ai commencé par le documentaire et je suis passé à la fiction parce qu’à un moment, j’ai eu le sentiment que par la fiction, j’arrivais à approcher d’encore plus près la réalité qu’avec un film documentaire. Je pouvais me permettre certaines choses qu’en documentaire, je ne pouvais pas. Les fictions que je fais sont très inspirées du réel. S’il fallait me rapprocher d’un mouvement quelconque, je dirais que ce sont les films de Ken Loach (réalisateur britannique multi-primé, NDLR), ce genre de films, qui me parlent et me touchent le plus. Mon cinéma est vraiment un type de cinéma inspiré de la réalité.
Et côté documentaire, vous êtes plutôt quelqu’un qui construit beaucoup ses scénarios ?
Là, je suis en train d’explorer quelque chose que je ne connaissais pas trop, qui est le fait de tourner seul. Ça offre une liberté qui n’est pas la même. Dès que l’on ramène un ingénieur du son ou quelqu’un d’autre, on ramène une autre histoire dans le projet et ce n’est pas pareil. La relation que l’on développe avec son sujet et la personne qui est en face de soi est vraiment très différente. C’est un peu le sens aujourd’hui de ce que j’essaie de faire.
Vos thématiques sont toujours très ancrées sur les réalités sociales de l’île Maurice. C’est important pour vous d’être ce témoin de l’actualité et de ce que vivent les gens au quotidien ?
Maurice, moi, je le prends un peu comme un laboratoire de ce qui se passe partout ailleurs en Afrique et même sans doute plus loin. C’est une île qui est basée sur un modèle ultralibéral. Souvent, on a tendance à dire que les pays africains, ou les pays de l’océan Indien, sont un peu en retard sur les grands mouvements et subissent la répercussion quelques années après ce qui se passe ailleurs. Moi, j’ai surtout le sentiment que nous avons une grande longueur d’avance sur ce qui se passe ailleurs. Au contraire, parce que le libéralisme est implanté à Maurice depuis que les Hollandais sont arrivés au XVIe ou XVIIe siècle. La raison d’être de cette île est d’être une plateforme d’échange commercial où les gens viennent, prennent ce qu’il y a à prendre sur place, s’enrichissent et repartent avec la richesse créée. Et quand on a compris cela, on a compris ce qu’est Maurice aujourd’hui, ce qu’est la place de l’argent aujourd’hui à Maurice, ce qu’est la place du pouvoir. Maurice est un pays où on a la douceur de vivre, ce sentiment qu’on connaît, dont tout le monde parle : la douceur de vivre, le pays stable, etc. Mais aussi, dès qu’il a une petite tension, on sent très vite que ça peut basculer. Il y a quand même dans la société mauricienne une violence sous-jacente qui est très peu visible, mais qui est souvent présente dans les cercles familiaux, qui est là et qui existe.
Vous avez aussi la particularité de vous produire vous-même, d’être finalement l’un des rares réalisateurs et producteurs de l’île Maurice, si ce n’est le seul. Est-ce difficile aujourd’hui de faire vivre seul toute la chaîne du film ?
C’est compliqué, oui, c’est difficile. Moi, la production, j’y suis venu plus par défaut que par envie. Parce que quand je suis rentré à Maurice et que j’ai eu envie de faire des films, il n’y avait pas de société de production et j’en avais besoin pour faire mes films. Donc finalement, je me suis dit « bon, tant qu’à faire, autant créer la mienne ». Quand on va en festival, que ce soit au Fespaco (au Burkina Faso) ou à Carthage (en Tunisie), etc, il y a énormément de très beaux films qui sortent du continent africain. Mais la plupart, on ne les verra jamais parce qu’ils n’ont pas d’écran, ils n’ont pas d’espace sur les écrans en Europe. Ce que je peux constater, c’est qu’entre le premier film que j’ai fait et le deuxième, il y a des choses qui se mettent en place pour assurer la visibilité des films africains. Donc, il y a encore un gros boulot à faire à ce niveau-là, mais les choses avancent.