Politique

Benaouda Lebdai – Camus, Sénac… : l’Algérie de Jean-Pierre Bénisti – Le Point


L‘ouvrage À propos de Camus, Sénac et l’Algérie** de Jean-Pierre Bénisti parcourt les 132 ans de l’Algérie comme colonie et département français. Il souligne combien l’Algérie est présente en France, de par le tissu humain qui s’est construit entre les deux rives de la Méditerranée, de par une histoire qui ne cesse de hanter ceux qui l’ont vécue et qui se transmet de génération en génération. Il faut dire que le système colonial a généré des traumas qui s’expriment à travers la littérature comme le prouvent les très nombreuses publications, romans et autobiographies chaque année en France et en Algérie.

Bénisti conçu dans l’appartement d’Albert Camus

Jean-Pierre Bénisti en est un exemple. À travers ce texte autobiographique, il revisite son enfance, son adolescence et l’âge adulte pour exprimer ses sentiments et ressentiments, proposant ainsi une photographie du milieu intellectuel et artistique pied-noir, montrant par là même une vie marquée par un père omniprésent, de toute évidence.

Le père, Louis Bénisti, était un artiste peintre et un sculpteur, avec une forte personnalité. Impliqué dans la vie intellectuelle algéroise de l’époque, ayant un ami très proche qui marquera la vie de Jean-Pierre Bénisti jusqu’à l’inconscient, et qui n’est autre qu’Albert Camus. L’anecdote rapportée par Jean-Pierre Bénisti mérite le détour car elle explique le terme « inconscient » que j’utilise. Il lui a été raconté qu’il fut conçu dans l’appartement d’Albert Camus lorsque ce dernier habitait à Oran, rue d’Arzew. Un fait qui a laissé des traces dans la psychologie du petit Jean-Pierre, et c’est ainsi qu’Albert Camus fait partie du « roman familial » des Bénisti.

Autour des Bénisti

Son impact intellectuel et politique ne fait aucun doute car Jean-Pierre a vécu dans le sillage du Prix Nobel de littérature, dans la mesure où Albert Camus était fidèle en amitié, même s’il compartimentait ses amis comme raconté par Olivier Todd. Présent à titre personnel, le personnage public Albert Camus l’était aussi de par ses positions sur la « question algérienne ».

Ce que nous raconte cette autobiographie se lit de manière fluide, Jean-Pierre Bénisti ayant l’art de recréer avec verve les scènes familiales, sociales et politiques qui secouaient le pays durant « la guerre d’Algérie ». Il n’est pas avare de détails dans son récit sur les personnes présentes dans sa vie depuis son enfance : les amis de ses parents, ses propres amis, les personnages politiques, les artistes, les romanciers comme Camus, Mouloud Feraoun, Jules Roy, l’artiste peintre Baya, Jean Sénac, le célèbre libraire et éditeur Edmond Charlot, qui fut le premier à publier Albert Camus, et tant d’autres. Jean-Pierre Bénisti a connu tout ce monde si présent dans ce texte.

Alger, les Arabes et les « pieds-noirs »

La ville d’Alger est décrite dans le détail avec les noms de rues de l’époque coloniale comme la rue Durando, la rue d’Isly, la rue Michelet ou la rue Dumont-d’Urville. Curieusement, la casbah n’est visitée par Jean-Pierre Bénisti qu’après l’indépendance de l’Algérie, avec ses amis algériens, ce qui confirme les analyses de Frantz Fanon sur la géographie des villes. Politiquement, la famille Bénisti était libérale, dans le sens politique de l’époque, c’est-à-dire ouverte aux autres, toujours indignée par la situation misérable des Arabes. Le milieu de Jean-Pierre Bénisti voulait plus d’égalité entre « Arabes » et « pieds-noirs », pour un avenir heureux pour tous, dans une nouvelle Algérie égalitaire. Dans l’ouvrage, il explique la position de Jean Sénac qui militait pour l’indépendance de l’Algérie, souligne le dilemme de beaucoup de pieds-noirs, à l’instar de son père pour qui l’Algérie est le seul pays qu’il connaissait, balayant d’un revers de main le fait colonial.

Une vision de l’Histoire de l’Algérie

L’intérêt de cette autobiographie est une vision de l’Histoire de l’Algérie coloniale et postcoloniale vue de l’intérieur, au sein d’un milieu intellectuel où écrivains et artistes, Français et Algériens, se côtoyaient et s’appréciaient, comme Mouloud Feraoun, Kateb Yacine, Mohammed Dib, Baya, Jules Roy, Emmanuel Roblès, Jean Sénac, Jean de Maisonseul, les amis du théâtre arabe, Albert Camus, et tous les amis communistes qui luttaient pour l’indépendance de l’Algérie et dont nombre d’entre eux furent assassinés par l’OAS (Organisation de l’armée secrète).

La conférence d’Albert Camus sur la trêve civile prend une place importante dans l’histoire familiale des Bénisti. Il décrit de l’intérieur combien Albert Camus fut menacé de mort par les ultras de l’Algérie française, la présence de Amar Ouzeguane à cette conférence, qui eut lieu place du Gouvernement, aujourd’hui place des Martyrs. Après cette prise de parole sur la « Trêve civile », Camus a fait le choix de se taire. Jean-Pierre Bénisti rapporte le nombre de fois où Camus était intervenu pour demander la grâce de nombreux militants du FLN condamnés à mort.

Ce texte raconte ainsi la confrontation au sein de la communauté pied-noir, avec des points de vue divergents, avec franchise de la part de Jean-Pierre Bénisti qui a d’ailleurs continué à vivre en Algérie, avec ses parents, Louis et Solange, qui était médecin à Alger, après l’indépendance de l’Algérie. Il écrit : « L’année 1962 finissait. Nous sortions du tunnel et nous espérions continuer à vivre dans ce pays que nous aimions. »

Jean-Pierre a poursuivi ses études de médecine à l’université d’Alger après l’indépendance. Ainsi, la famille Bénisti a vécu à Alger jusqu’en 1972.

L’auteur retourne régulièrement à Alger pour voir ses amis, participer à des colloques comme celui sur Albert Camus en 2006, qui s’est tenu à Tipasa même.

Sur la stèle d’Albert Camus

À la suite du décès d’Albert Camus, Jean-Pierre Bénisti raconte dans le détail comment ses amis de toujours décidèrent, dans la librairie d’Edmond Charlot, d’ériger une stèle en sa mémoire. Il rappelle que c’est son père qui a sculpté dans la stèle une phrase de Noces à Tipasa de Camus : « La mesure d’aimer c’est aimer sans mesure. » Il relate comment la stèle fut transportée d’Alger vers Tipasa et y fut inaugurée le 28 avril 1961. La stèle est toujours debout dans l’enceinte des ruines romaines de Tipasa, est devenue un passage obligé pour tous les lecteurs et admirateurs d’Albert Camus, lui qui aimait déambuler dans cette cité magnifique.

L’ouvrage est riche, sans être provocateur. Une histoire familiale dans la grande histoire, avec les méandres des débats dont l’auteur fut témoin, à savoir ceux qui dénigraient la nouvelle Algérie et ceux qui nourrissaient un nouvel espoir, ceux qui sont partis et ceux qui sont restés et dont on parle peu. Un profond respect et amour de la part de l’auteur pour l’Algérie, pour ses parents transparaît à chaque page, avec ce désir de faire revivre un père imposant, ses souvenirs et ses réflexions d’une page d’histoire algéro-française.

* Benaouda Lebdai est professeur des universités en littératures africaines coloniales et postcoloniales.

** À propos de Camus, de Sénac et de l’Algérie, par Jean-Pierre Bénisti, Paris, L’Harmattan, 2023.

dmp



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Lucas Leclerc

Tel un mélodiste des pixels, je suis Lucas Leclerc, un Compositeur de Contenus Digitaux orchestrant des récits qui fusionnent la connaissance et l'imagination. Mon passage à l'Université Catholique de Lyon a accordé une symphonie à ma plume. Telle une partition éclectique, mes écrits se déploient des arcanes de la sécurité internationale aux méandres de la politique, des étoiles de la science aux prédictions des bulletins météo. Je navigue entre les lignes avec la même aisance qu'un athlète soucieux de sa santé. Chaque article est une note de transparence, une mélodie d'authenticité. Rejoignez-moi dans cette composition numérique où les mots s'entremêlent pour former une toile captivante de connaissances et de créativité, où la sécurité mondiale danse avec les étoiles, où les sphères politiques se fondent avec la météorologie, et où chaque paragraphe est une sonate pour la compréhension globale.

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