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Jean-François Colosimo : “Le Hamas instrumentalise le malheur … – Marianne


Marianne : Le Hamas est né en 1987. Du moins officiellement. Vous voyez cependant dans cette datation au fond récente une méprise. Pourquoi ?

Jean-François Colosimo :Parce qu’elle revient à confondre chronologie et généalogie. Le Hamas n’est pas qu’un substitut à l’effondrement du communisme, un variant parmi d’autres de la revanche des fondamentalismes. La « résistance religieuse » qu’il prétend incarner est vieille d’un siècle. Et plus. D’une part, il s’inscrit dans la bataille interne qui, depuis la décennie 1880 et la décomposition de l’Empire ottoman, oppose le panislamisme au panarabisme. D’autre part, il poursuit la captation de l’essor du nationalisme palestinien que les Frères musulmans ont entamée dans les années 1930.

Quels sont les grands traits de cette genèse méconnue ?

Idéologiquement, le Hamas répète la radicalisation confessionnelle des al-Husseini qui, descendants attitrés du Prophète et gardiens autodéclarés d’al-Aqsa, forment un clan puissant en Terre sainte au XIXe siècle. Dès 1899, leur chef, le cadi Mohammed Tahir, entend opposer à l’arrivée grandissante des Juifs d’Europe des mesures dissuasives de « terreur ». En 1918, son fils aîné, Kamil, devient le premier grand mufti de Jérusalem, fonction que Londres a créée pour compenser la déclaration Balfour et la promesse d’un foyer national juif en Palestine mandataire. En 1921, Kamil meurt et Mohammed Amin, son frère, le remplace.

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Cet activiste fait du meurtre de masse son programme. Mêlé au sanglant pogrom de Nabi Moussa advenu un an plus tôt, il comptera parmi les inspirateurs, en 1929, du massacre d’Hébron où périront plusieurs dizaines d’étudiants rabbiniques pourtant guère enclins au sionisme. Avant de fonder en 1936 la Jaych al-Jihad al-Mouqaddas, l’« Armée de la guerre sainte », milice dont il confiera le commandement à son cousin, Abdel-Kader al-Husseini.

Où sont toutefois les similitudes proprement idéologiques que vous évoquiez ?

Disciple direct de Rashid Rida, le théoricien salafiste de la restauration de l’oumma et du califat, Mohammed Amin al-Husseini s’allie dès 1928 avec Hassan al-Banna qui fonde au même moment, en Égypte, la Société des Frères musulmans. Le projet du mufti n’est pas une Palestine libre, mais une Palestine islamique. Son programme n’est pas uniquement antisioniste, il est aussi antisémite. Il s’agit pour lui de « purifier » le futur émirat régi par la charia de toute présence juive.

« Si le grand mufti est défait par l’ennemi extérieur, il continue à combattre l’ennemi intérieur, le musulman impie. »

D’où sa fascination pour Hitler et son pacte avec le nazisme. Le voilà qui, en 1941, réfugié à Berlin, est reçu avec les honneurs par le Führer, et qui, en 1943, se rend sur le front de l’Est pour bénir les trois divisions SS de Bosniaques musulmans. Échappant de peu au tribunal de Nuremberg, il revient à Jérusalem, reprend la lutte, réarme sa milice. Bien que secondé par le frériste Saïd Ramadan, gendre d’al-Banna, Al-Husseini perd la guerre de 1948 et connaît à nouveau l’exil jusqu’à sa mort à Beyrouth en 1974.

Est-ce la fin de son militantisme ?

Non. Si le grand mufti est défait par l’ennemi extérieur, il continue à combattre l’ennemi intérieur, le musulman impie. À commencer par le roi Abdallah, l’un des héritiers de la dynastie des Hachémites chassée de la Mecque par les Saoud, qui règne sur la Transjordanie et, désormais, sur la Cisjordanie qu’il a annexée lors de la première guerre israélo-arabe de 1948.

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Ce représentant d’un islam plutôt libéral est réputé ouvert à un compromis avec Israël. Le 20 juillet 1951, alors qu’il est venu à Jérusalem exercer son rôle de protecteur des Lieux saints, il est assassiné sur l’esplanade des Mosquées. Et ce, sur l’ordre de Mohammed Amin Al-Husseini. Lequel va s’employer les deux décennies suivantes à agiter la Ligues arabe, la Ligue islamique, le mouvement des non-alignés. S’il échoue à contrecarrer l’ascension de l’Organisation de libération de la Palestine, il réussit à distiller une inimitié terminale envers Israël dans les pays émergents.

En quoi, d’ailleurs, l’antisémitisme que vous assignez à ce courant se distingue-t-il de la judéophobie si répandue au Levant ?

Cette haine existe, c’est indiscutable, et a existé bien avant l’apparition du sionisme ou de l’État hébreu. Du côté panarabe, outre une longue tradition autonome de déni de la singularité juive, elle s’est nourrie d’expressions importées d’Europe, empruntées moins à l’antijudaïsme théologique qu’aux antisémitismes politiques, réactionnaires ou révolutionnaires : Michel Aflak, le fondateur du Baas, recycle Maurras et Georges Habache, le créateur du FPLP, Bakounine.

« La démarche reste antagonique sans cesser d’être universaliste. »

Du côté panislamiste, la référence se veut coranique et se légitime d’une chaîne particulière de hadiths, de paroles prophétiques rapportées, qui est controversée au sein de l’islam classique et que néanmoins ses tenants naturalisent : le jihad antijuif est un devoir sacré. De ces deux essentialisations hostiles, la seconde, irraisonnable puisque se prétextant révélée, l’emporte aujourd’hui. Et pas seulement au Levant.

Revenons à l’opposition initiale que vous postulez. Quelle différence constitutive l’OLP entretiendrait-elle au regard du Hamas ?

En se réclamant l’émule de la Nahda, la « renaissance » civilisationnelle de l’arabité, du réveil européen des nationalités et de la rébellion tiers-mondiste des indépendances, le Fatah de Yasser Arafat se conçoit comme moderniste et séculier. Profitant de la notable influence des chrétiens palestiniens sur sa structuration théorique, il dessine une Palestine désireuse de rivaliser avec Israël en termes de progrès politique, social, culturel. La charte édictée en 1964 récuse toute définition théocratique de nature ethnico-religieuse et affirme, au contraire, le principe d’une « nation non-confessionnelle ». Ses amendements, en 1988 et 1998, qu’accompagnent le renoncement à la guérilla locale et au terrorisme international, scellent la reconnaissance d’Israël et de son droit à l’existence. Pour le dire d’une formule, la démarche reste antagonique sans cesser d’être universaliste.

Al-Husseini s’efface dans les années 1950. Le Hamas se manifeste dans les années 1980. Comment interpréter ce trou noir de trois décennies ?

Comme il en va alors pour d’autres groupes politico-religieux militants, la Guerre froide occasionne une période d’occultation volontaire qui n’empêche pas un travail de sape souterrain. En 1967, à l’issue de la Guerre des Six jours, la bande de Gaza passe de l’Égypte à Israël. Les héritiers d’El-Husseini sont satellisés par l’organisation mère : réduits à la branche palestinienne des Frères musulmans, ils professent la « suspension de la lutte » afin de travailler à la « conversion des générations futures » au moyen de l’usuel maillage caritatif et éducatif.

« Il ne s’agit pas d’un effet de bascule circonstancié, mais planétaire. »

D’où l’université islamique qu’ils fondent en 1978 et où l’enseignement de la charia et du jihad va être financé par les puissances arabes mais aussi occidentales au titre de l’aide à Gaza. Tous les cadres actuels du Hamas y ont été formés.

Pourquoi ce basculement advient-il à ce moment-là ?

Il ne s’agit pas d’un effet de bascule circonstancié, mais planétaire. Pour nous cantonner au monde musulman, l’année suivante, 1979, verra la confrontation des Soviétiques et des moudjahidines en Afghanistan, le retour de l’imam chiite Khomeiny à Téhéran, la prise par des ultras- sunnites de la Grande Mosquée à La Mecque et l’arrivée au pouvoir du futur « nouveau Saladin » alias Saddam Hussein à Bagdad. Dix ans avant la chute du Mur de Berlin, personne ne le voit mais l’axe du globe a d’ores et déjà pivoté. À Gaza même, parmi les Frères, les déçus de l’attentisme créent le Jihad islamique qui ralliera bientôt le Hezbollah à Beyrouth et al-Assad à Damas, suscitant un climat de concurrence propice à la surenchère apocalyptique.

Jusqu’à l’éclosion du Hamas donc, qui, à vous suivre, va néanmoins bénéficier de l’importante base populaire qu’il semble s’être acquise. Est-ce le cas ?

Oui et non. C’est l’Intifada de 1987, dans ce qu’elle a de spontanée, qui précipite chez les islamistes de Gaza l’impatience du combat : l’avant-garde ne saurait être en retard sur les masses. Le Hamas s’autodéclare comme l’expression de la souveraineté du peuple. En fait, il s’en empare et ne la rendra plus, usant du clientélisme toujours, de la répression souvent et de la terreur qu’il appliquera parfois aux Palestiniens comme aux Israéliens. En 1988, il promulgue sa charte qui réédite le testament mortifère du grand mufti, la « destruction de l’Entité sioniste » et l’érection d’une « Palestine islamique » afin d’abattre la « Juiverie mondiale qui domine les gouvernements, les banques, les médias ».

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La même année, il se dote d’un bras armé, les Brigades Izz al-Din al-Qassam, qui vont multiplier les attentats-suicide frappant sciemment les civils israéliens, non sans assurer cyniquement comme « prix du sang martyr » une indemnisation financière aux familles gazaouies des kamikazes. Et ce jusqu’en 2005 alors qu’Israël, à l’instigation d’Ariel Sharon, se retire de Gaza et que le Fatah de Yasser Arafat s’y installe.

L’année suivante, en 2006, le Hamas entre en conflit avec l’OLP et, après dix-huit mois d’une guérilla fratricide qui cause 600 morts palestiniens uniquement à Gaza, il assoit son hégémonie sur ce territoire de désolation qui, devenu la plateforme des assauts terroristes de l’organisation, va subir régulièrement les représailles de Tsahal.

Pourquoi, en conclusion, la fascination qu’a pu ou que peut inspirer le Hamas ?

La réforme de sa charte en 2017 a pu laisser penser à des esprits candides que le Hamas allait finalement suivre la voie de l’OLP. Les tueries innommables du samedi 7 octobre 2023 ont tragiquement démontré qu’il continuait à instrumentaliser le malheur palestinien au service de son projet totalitaire. Ceux qui refusent de le voir sont des abusés volontaires et, sinon, des abuseurs délibérés servant eux-mêmes de pervers desseins.



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Charlotte Lambert

Voyageuse d'idées et jongleuse de mots, je suis Charlotte Lambert, une Spécialiste de l'Art de Rédiger tissant des histoires qui transcendent les frontières. Mon parcours à l'Institut Catholique de Toulouse a été le ferment de ma passion pour l'écriture. Tel un guide littéraire, j'explore les méandres des organisations internationales, les échos des événements mondiaux, les trésors du système éducatif, les énigmes des problèmes sociaux, et les horizons infinis du voyage. Mon stylo danse entre les lignes, infusant chaque article d'une authenticité inébranlable. Joignez-vous à moi dans ce périple où les mots sont les balises qui éclairent le chemin de la compréhension mondiale, où l'événementiel devient un kaléidoscope de perspectives, où l'éducation se dessine avec la richesse de l'avenir, où les enjeux sociaux prennent une nouvelle dimension et où chaque page est un pas vers l'ailleurs.

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