Événements mondiaux

Cervantès : un aventurier énigmatique… « timbré » – Le Monde


[Daniel Fernandez, professeur en classes préparatoires littéraires en espagnol et Eric Coutelle, agrégé des universités en lettres modernes, coauteurs d’une traduction et d’une critique de « L’Ingénieux Hidalgo. Don Quichotte de la Manche », de Miguel de Cervantès (Garnier) nous ont fait parvenir un texte sur « Don Quichotte » auquel le timbre a rendu hommage à de nombreuses reprises depuis plus de cent ans.]

De l’œuvre incroyablement riche de Miguel de Cervantès (1547-1616), la postérité a surtout retenu le Quichotte. Il est vrai que ce roman, qui n’était qu’une « histoire » au statut littéraire indéfinissable, publiée par un auteur énigmatique de 58 ans quasiment tombé dans l’oubli, est à l’origine de l’invention du roman moderne et a changé de façon irréversible le panorama de la littérature mondiale. Cervantès n’aurait jamais pu imaginer que cette œuvre publiée en 1605 (la deuxième partie verra le jour en 1615) serait celle qui le ferait passer à la postérité. Une postérité saluée par l’émission en 1905 en Espagne d’une série de dix timbres pour le troisième centenaire de sa publication, représentant des scènes emblématiques de l’œuvre, que l’on pouvait trouver à 1 260 euros (neuf, sans charnière) récemment sur un site. Cent ans plus tard, le 400e anniversaire n’a pas laissé la philatélie mondiale indifférente, loin de là.

Timbre espagnol de la série de 1905 : don Quichotte est fait chevalier.

Don Quichotte fait partie de ces « héros » dont les déclinaisons timbrées ne sont pas loin de dépasser celles de leurs auteurs, comme Holmes pour Conan Doyle. L’universalité du personnage lui vaut des représentations philatéliques dans de nombreux pays, dont la France en 1957 et quelques « études » philatéliques érudites.

« Cervantès », timbre français dessiné et gravé par Albert Decaris, émis en 1957.

Deux jours avant sa mort, Cervantès dictait sur son lit le Prologue de son dernier livre, Les Travaux de Persiles et de Sigismonde. Il plaçait de grands espoirs dans cet ouvrage, qui, croyait-il, le ferait passer à la postérité, bien plus que Don Quichotte. Notre auteur aurait préféré être reconnu par ce roman byzantin ou encore par ses talents de dramaturge. Publié juste après sa mort en 1616, il a beaucoup de succès, mais bien moins que celui escompté par l’écrivain. Et, contrairement à ce qu’il a pu imaginer, c’est bien aujourd’hui le Quichotte, qu’il considérait comme une œuvre mineure, qui va l’immortaliser.

Don Quichotte a inspiré l’oeuvre de Jorge Luis Borges (timbre argentin de 1987).

Ce chef-d’œuvre loué par les plus grands auteurs de la littérature mondiale (Dostoïevski, Flaubert, Borges) n’aura été donc considéré par Cervantès lui-même que comme un roman de divertissement. Dès sa parution, il connaît cependant un énorme succès. Plusieurs éditions sont nécessaires tant la demande des lecteurs est grande. Les personnages du roman deviennent si populaires que des représentations de don Quichotte et de Sancho Panza font leur apparition dans des cortèges et des mascarades. Cette œuvre constitue une véritable consécration ; des traductions du Quichotte viennent bientôt inonder toute l’Europe.

Fort de ce succès, Cervantès va publier successivement les Nouvelles exemplaires (1613), Huit comédies et huit intermèdes et la deuxième partie de don Quichotte en 1615, sans oublier Les travaux de Persiles et de Segismunda. Cette dernière période de sa vie contraste fortement avec le silence de près de vingt ans entre 1585 et 1605 pendant laquelle l’auteur n’a rien publié.

Les représentations de Cervantès

Feuillet émis par l’Espagne en 1998.

Cervantès, à bien des égards, a mené une vie d’aventurier qui n’est pas sans rappelé parfois celles des personnages qui traversent ses romans. Il n’hésite pas ainsi à rappeler ses propres aventures, lorsqu’il fut emprisonné à Alger dans la première partie de Don Quichotte, attribuant à l’un de ses personnages son deuxième nom Saavedra. Cervantès n’est pas bien sûr don Quichotte, mais il est indissociablement lié à ce personnage. En témoignent nombre de timbres dont le portrait est souvent entouré des personnages de don Quichotte et de Sancho Panza. Cette représentation de Cervantès semble être imaginaire, car rien n’est moins sûr que cela corresponde au portrait réel de notre écrivain.

L’auteur cependant a laissé quelques indices sur son aspect physique. En 1613, il est âgé de 66 ans et indique dans le prologue des Nouvelles exemplaires que son visage est aquilin, ses cheveux châtains, ses moustaches longues et sa barbe blanche. Il ajoute en outre n’être grand ni petit et de ne plus disposer de beaucoup de dents. Autant dire qu’il est difficile pour le lecteur de se faire une idée bien précise du physique de l’auteur.

Toutefois, il fait allusion également dans ce prologue au portrait qu’aurait réalisé de lui le peintre don Juan de Jauregui (1583-1641). On a longtemps cherché ce portrait. En 1911, l’Académie royale espagnole finit par l’identifier. Mais son authenticité est remise en question : s’agit-il bien d’une peinture de Jauregui et du portrait de Cervantès ? Quoi qu’il en soit, c’est cette œuvre a contribué à construire l’image de Cervantès ; celle d’un gentilhomme de la Renaissance, du début du XVIIe siècle, avec barbe et collerette. Nombre de timbres s’inspirent de ce portrait diffusé par les postes du monde entier.

Série parue en République dominicaine en 2016. En bas à droite,  portrait de Cervantès qu’aurait réalisé le peintre don Juan de Jauregui (1583-1641), source incontournable de l’iconographie philatélique.

Si Cervantès peut apparaître seul, il est le plus souvent accompagné de don Quichotte et de Sancho Panza. Cervantès, tout comme ses personnages, sont bien sûr le symbole de l’hispanité mais revêt avant tout un caractère universel sans doute parce que cette œuvre est une ode à la force de l’imagination et à la liberté. Leur image a été utilisée par tous les régimes qu’a connus l’Espagne : que cela soit l’Espagne franquiste ou la seconde République. Il flatte un sentiment national et devient le symbole de l’hispanité qui rassemblerait tous les pays de langue espagnole.

Don Quichotte et Sancho Panza, sur un timbre de poste aérienne émis en 1936 par  la République espagnole pour le 40e anniversaire de l’Association de la presse de Madrid.

La plupart des représentations de don Quichotte rappellent les épisodes les plus connus de la première partie avec notamment les moulins à vent que notre héros prend pour des géants. Le plus souvent, don Quichotte est représenté monté sur son cheval Rossinante parfois accompagné de Sancho Panza sur son baudet. Il n’est pas étonnant de le représenter sous cette forme car Don Quichotte est aussi un récit de voyage où notre héros en quête d’aventures découvre le monde tout en se heurtant à lui.

Timbre de Monaco (2005) ou les deux acolytes sont représentés, l’un sur Rossinante, l’autre sur son baudet.

Ce personnage amène le lecteur à s’interroger sur le monde qu’il découvre et en quelque sorte sur sa propre identité. Dans le récit de don Quichotte, est développé le thème de l’homo viator, c’est-à-dire de l’homme qui voyage, qui trace son chemin et qui interprète ici le monde en fonction de sa folie. Cette thématique du voyage est bien sûr reprise avec les timbres qui reprennent l’épisode de Clavileño comme, par exemple, dans le timbre de poste aérienne émis pendant la seconde République espagnole. Le récit du cheval en bois nommé Clavileño sur lequel don Quichotte imagine qu’il s’envole dans les airs accompagné de Sancho Panza prend place dans le second tome.

Bien des mystères entourent sa vie. C’est un personnage pour le moins énigmatique comme peuvent l’être tous les maîtres de la Renaissance, comme Shakespeare ou encore Rabelais. Bien des biographies, des études ont été réalisées à son propos soulignant parfois sa judaïté (Daniel Eisenberg, en 2006) ou encore son homosexualité (Fernando Arrabal). Mais rien n’a été définitivement établi à ce sujet, qui pourrait éclairer d’un jour nouveau sa production littéraire.

Cervantès au Paraguay en 2006.

Cette analyse de l’orientation sexuelle de Cervantès ne date pas d’aujourd’hui. Elle naît lors de sa captivité à Alger. En 1575, il est fait prisonnier par des pirates berbères. Il n’a alors que 28 ans et sera libéré cinq ans plus tard en échange d’une rançon. A quatre reprises, il essaie de s’évader faisant preuve, semble-t-il, de courage et de générosité auprès de ses compagnons d’infortune. Hassan Venezziano qui est alors le belerbey d’Alger l’épargne par deux fois alors qu’il méritait la peine capitale. Les raisons de cette clémence ne sont pas bien établies. Nombre d’hypothèses ont pu être émises à ce propos (Cervantès, de Jean Canavaggio, Fayard, 1997, pages 103 et 105) ; parmi elles l’attirance sexuelle qu’aurait pu ressentir Hassan Venezziano pour notre prisonnier, lui laissant ainsi la vie sauve.

Peu d’éléments permettent de cerner la personnalité de Cervantès ou encore la nature exacte de ses pensées. En revanche, nous disposons de nombreux documents de nature juridique qui attestent des étapes marquantes de sa vie. Son acte de baptême, par exemple, est conservé dans la paroisse de Santa María la Mayor à Alcalá de Henares où il est baptisé le 9 octobre 1547.

Alcalá de Henares, timbre espagnol paru en 2018 .

D’après certains spécialistes comme Albert Bensoussan (2008), Cervantès aurait, notamment dans sa branche paternelle, des « conversos », ce qui ferait de lui un nouveau-chrétien, en d’autres termes Cervantès serait issu d’une famille juive récemment convertie au christianisme.

Qu’il soit ou non descendant de « conversos », Miguel de Cervantès fait toutefois partie de la petite noblesse, il est le fils d’un hidalgo. Son père gagne modestement sa vie et déménage avec sa famille en 1551 à Valladolid. Il est le troisième d’une fratrie nombreuse composée de sept enfants. Nous ne savons pas grand-chose sur les études qu’il a suivies ni dans quelle ville il les a commencées. Sa mère, Leonor de Cortinas, a sans doute pu jouer un rôle dans la formation de son fils Miguel en lui apprenant à lire et à écrire en castillan. Plus tard, c’est encore elle qui bataillera pour réunir une partie de la somme nécessaire au rachat de son fils Miguel de Cervantès, captif à Alger.

Le roi Philippe II, timbre de 1979.

On retrouve trace de cette famille à Madrid en 1566 où Cervantès suit des cours chez Juan López de Hoyos, professeur de grammaire et directeur à l’Estudio de la Villa de Madrid ; il a pu l’influencer en diffusant notamment auprès de lui ses idées humanistes. On peut supposer qu’il a acquis dans cet établissement une assez solide connaissance des œuvres classiques latines et grecques. Juan López de Hoyos, lui permet aussi d’inclure quatre poésies de circonstances dans un livre qu’il publie en 1569 à l’occasion de la mort (en 1568) de la reine Isabelle de Valois (troisième épouse de Philippe II) ; il lui montre l’estime qu’il lui porte en le citant comme son élève, « Miguel de Cervantès, notre cher et bien aimé disciple ». Ce sont ses premières poésies ; il en écrira d’autres par la suite, notamment des élégies, des sonnets en hommage à certaines personnalités. C’est un genre auquel il ne renoncera jamais jusqu’à la fin de sa vie comme l’attestent la parution de son Voyage au Parnasse, en 1614, ou encore le Prologue et le chant de Chrysostome/Grisóstomo de la première partie du Quichotte.

Elisabeth de Valois (Isabelle de Valois), timbre du Tchad. Reine d’Espagne (1545-1568), épouse de Philippe II.

Quelques mois après la publication de ses premières poésies, Miguel de Cervantès part pour Rome et entre au service du futur et jeune Cardinal Acquaviva (nommé en 1570). Il y occupe un poste de valet de chambre qui ne devait pas le satisfaire pleinement, ce qui expliquerait qu’il quitte très vite ses fonctions.

Cervantès s’engage ensuite dans la compagnie du capitaine Diego de Urbina qui va rejoindre la flotte commandée par Juan de Austria. Le 7 octobre 1571, il participe à la bataille de Lépante qui voit la victoire de la Sainte Ligue contre l’Empire ottoman. Il y est blessé et perd alors l’usage de sa main gauche. Cet épisode va bien sûr le marquer jusqu’à la fin de sa vie et il ne cessera jamais de s’enorgueillir de cette blessure qui souligne son engagement militaire.

La bataille de Lépante, timbre de Monaco paru en 1971.

Après ces événements, il revient s’installer à Naples et y restera jusqu’en 1575, servant toujours sous l’uniforme où il va découvrir la culture italienne, l’humanisme. Une partie de l’Italie est occupée par les armées espagnoles et c’est une terre où se rendent traditionnellement de nombreux artistes espagnols. Ce séjour va marquer et consolider la formation intellectuelle de cet autodidacte qui peut découvrir les grands auteurs italiens, Pétrarque, Boccace, et s’inspirer d’eux, de leur théâtre aussi avec la commedia dell’arte.

Miguel de Cervantès décide cependant de quitter Naples et l’Italie pour revenir en Espagne. Malheureusement, en septembre 1575, alors qu’il se trouve au large de Cadaqués, la galère Sol est attaquée par des corsaires barbaresques. Cervantès ainsi que son frère Rodrigo sont faits prisonniers.

En septembre 1580, il peut enfin regagner la péninsule ibérique. Il met tout en œuvre pour obtenir des subsides et en mai 1581 il regagne le Portugal où se trouve la cour de Philippe II. Il mène certes une vie plus paisible, mais il ne peut vivre de sa plume. Cervantès doit ainsi travailler pour subvenir à ses besoins.

Don Quichotte a inspiré Cyprian Majernik (1909-1945). Timbre de Slovaquie. La Tchécoslovaquie a émis en son temps un timbre inspiré d’un autre tablerau de Majernik représentant le chevalier à la triste figure.

Dès son retour en Espagne, il produit des pièces de théâtre comme La Vie à Alger ou encore Numance. Ces deux pièces de facture assez classique connaissent un succès tout relatif et se jouent avant l’avènement de la comedia nueva dont l’auteur phare n’est autre que Lope de Vega (1562-1635) qui, par son Art nouveau de faire des comédies publié en 1609, jette les bases d’un nouveau théâtre.

Lope de Vega, timbre de 1935.

Ces œuvres correspondent à ce que l’on peut appeler la première époque du théâtre de Cervantès. Dans La Vie à Alger il met en scène la vie au bagne à Alger et dans Numance, il reprend l’épisode du siège de la ville par les armées romaines commandées par Scipion l’Africain ; il y exalte l’héroïsme espagnol.

Frégate « Numancia », timbre espagnol de 1964. Nom qui renvoie à l’épisode du siège de la ville par les armées romaines commandées par Scipion l’Africain. « Numance », titre d’une pièce de Cervantès.

Cette pièce fut reprise par Jean-Louis Barrault en 1937, sans doute séduit par le thème qui y est abordé, celui de citoyens qui défendent leur liberté face à l’armée impériale romaine. Malgré la tragédie qui frappe les assiégés, les personnages portent en eux un espoir qui ne saurait être dompté. Ce thème est bien sûr caractéristique de l’œuvre de Cervantès et on le retrouve plus précisément dans le Quichotte.

Cervantès écrit très peu par la suite jusqu’à la parution de Don Quichotte. Il produit ainsi deux odes pour L’Invincible Armada ou encore un sonnet à l’occasion de la mort de Philippe II.

Quant à la vie amoureuse et maritale de Cervantès, elle est quelque peu mouvementée. Notons qu’il connaît un amour adultérin avec Ana de Villafranca (ou Franca de Rojas) qui est mariée à Alonso Rodríguez, aubergiste de son état. De cette union naît une fille, Isabel, au printemps 1584, qu’il reconnaîtra plus tard et qui prendra le deuxième nom de Cervantès, Saavedra. Cela ne l’empêche pas, le 12 décembre de la même année, de se marier à Catalina de Salazar y Palacios qui n’avait pas encore vingt ans et qui lui apporte une petite dot. Cette femme possède quelques terres à Esquivias dans la province de Tolède et Cervantès va y séjourner trois ans avant de quitter cette ville et sa femme.

Bloc-feuillet émis par l’Albanie en 2016.

Il mène ensuite une vie itinérante et semble avoir renoncé à sa vocation littéraire. Il occupe la fonction de munitionnaire, de commissaire aux approvisionnements aux galères et c’est ainsi que l’on retrouve sa trace à Séville où il réside entre 1587 et 1600. En 1590 il sollicite même un emploi pour partir aux Amériques mais qui va lui être refusé de façon catégorique ; on peut imaginer la déception de notre homme qui doit continuer ses fonctions en Andalousie avant d’être emprisonné en 1592 et innocenté à la suite de malversations commises par des assistants.

Modernité de Don Quichotte

A l’heure où l’on parle de « post-vérité », de « fake news », de vérité parallèle, même s’il convient d’éviter tout anachronisme, il semble que ces phénomènes sont illustrés par Don Quichotte.

Tout le monde connaît l’épisode des moulins à vent que don Quichotte prend pour des géants. Cet épisode et bien d’autres ont fait rire maintes générations de lecteurs, persuadés qu’un tel délire ne pouvait être que le fait d’un fou. Comment expliquer un tel déni de réel et quel lien a-t-il avec ce que nous connaissons aujourd’hui ?

L’épisode des moulins à vent, timbre de Monaco (1979).

Ses croyances ne relèvent pas simplement du délire, mais forment un tout cohérent et logique. Selon lui, il n’y a pas de vérité absolue, mais autant de vérités qu’il y a de points de vue individuels. Ce qui compte, ce n’est pas l’existence objective du référent auquel il croit, mais la cohérence interne de son univers imaginaire et la fidélité aux règles de ce monde. La succession d’échecs qu’il connaît ne l’incite nullement à remettre en question ses délires. Il en rend responsables des enchanteurs malintentionnés.

Du reste, Cervantès laisse coexister plusieurs visions du monde incompatibles entre elles. Ce subjectivisme permet à chaque personnage de définir sa propre réalité. Mais la réalité de don Quichotte ne repose pas sur une vérité, car pour qu’elle soit établie il faut un consensus. Le lecteur n’est pas dupe, il sait parfaitement que les moulins ne sont pas des géants, ni les troupeaux de moutons des armées en marche. Le problème de don Quichotte, c’est que personne ne le croit, ou presque. Mais il suffirait que nombre de gens adhèrent à sa perception du réel pour qu’elle devienne vraie. Cette folie va du reste contaminer Sancho Panza, persuadé que son maître va bien conquérir l’île qu’il lui a promise.

« Le lecteur n’est pas dupe, il sait parfaitement que les moulins ne sont pas des géants, ni les troupeaux de moutons des armées en marche. » Série de timbres espagnols parus en 2005 pour les quatre cents ans de la parution de « Don Quichotte ».

La folie de don Quichotte n’est pas, cependant, un simple délire, et traduit, comme c’est aussi le cas de nos jours, une angoisse devant une réalité nouvelle difficile à appréhender. Les moulins, assimilés à des êtres diaboliques, symbolisent la modernité, perçue comme une menace ; trouver un responsable à tous nos maux, comme les enchanteurs chez don Quichotte est à la fois rassurant et nécessaire pour survivre. C’est pourquoi le héros meurt lorsqu’il abandonne ses chimères.

Enfin, la contestation permanente de toute forme d’autorité, y compris intellectuelle, renforcée et amplifiée par le développement anarchique des réseaux sociaux, les algorithmes et la fragmentation de la société, les errements et les manipulations parfois des tenants de l’orthodoxie ou d’armées de trolls, rendent quasiment impossible la construction d’un consensus nécessaire à l’établissement d’une vérité fédératrice.

Lire, relire Don Quichotte aujourd’hui c’est nous offrir les clefs pour comprendre une société en prise avec le doute et les superstitions. Et si le lecteur rit de la folie et des mésaventures du héros, il est touché par la grâce de ce personnage soucieux d’aider son prochain et de vivre un destin extraordinaire.

En 1594, il est installé à Madrid avec son épouse ; et on lui accorde une fonction de collecteur d’impôts dans la région de Grenade. Il va placer l’argent recueilli de même que ses propres deniers dans une banque à Séville. Comble d’infortune, le banquier fait faillite et suite à cette affaire, l’écrivain se retrouve en prison pendant six mois en 1597 à Séville.

Cervantès, sur un timbre émis par l’Equateur, dans une série de 10 valeurs (1949).

Vers 1604, il vit à Valladolid avec sa famille : sa femme, ses sœurs ainsi que sa fille Isabel. Comme souvent la famille de Cervantès suit les déplacements de la cour entre Madrid et Valladolid. Cela s’explique notamment par les activités de ses sœurs qui étaient au service de grands personnages.

450 euros pour ce timbre non émis dans cette couleur, en vente chez Elysabeth Berck, à Paris (http://www.philatelie-berck.com/fr/).

Et donc, en 1605 paraît Don Quichotte.

Mais le moment de gloire de Cervantès est assombri par des affaires de mœurs dans lesquelles sont impliqués Cervantès lui-même, ses sœurs et sa fille ! Les accusations portées contre Cervantès et sa famille ou même les allégations quant à sa passion pour le jeu nous présentent une autre facette de l’écrivain qui est bien éloignée de celle que certains hagiographes de Cervantès ont bien voulu donner de lui, en en faisant un héros et un homme exemplaire !

Les dernières années de sa vie sont marquées par une grande production d’œuvres qui consacreront à jamais Cervantès comme le plus grand écrivain du Siècle d’or espagnol dont la renommée ne cessera de croître au fil des siècles.

Daniel Fernandez et Eric Coutelle

Daniel Fernandez est le coauteur avec Eric Coutelle d’une traduction et d’une critique de « L’Ingénieux Hidalgo. Don Quichotte de la Manche », de Miguel de Cervantès (Classiques Garnier, 2022, 796 pages, 49 euros).

« L’Ingénieux Hidalgo. Don Quichotte de la Manche », de Miguel de Cervantès, traduction et édition critique, par Eric Coutelle et Daniel Fernandez (Classiques Garnier, 2022, 796 pages, 49 euros).

Le Monde



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Charlotte Lambert

Voyageuse d'idées et jongleuse de mots, je suis Charlotte Lambert, une Spécialiste de l'Art de Rédiger tissant des histoires qui transcendent les frontières. Mon parcours à l'Institut Catholique de Toulouse a été le ferment de ma passion pour l'écriture. Tel un guide littéraire, j'explore les méandres des organisations internationales, les échos des événements mondiaux, les trésors du système éducatif, les énigmes des problèmes sociaux, et les horizons infinis du voyage. Mon stylo danse entre les lignes, infusant chaque article d'une authenticité inébranlable. Joignez-vous à moi dans ce périple où les mots sont les balises qui éclairent le chemin de la compréhension mondiale, où l'événementiel devient un kaléidoscope de perspectives, où l'éducation se dessine avec la richesse de l'avenir, où les enjeux sociaux prennent une nouvelle dimension et où chaque page est un pas vers l'ailleurs.

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