Avec l’homme d’affaires Noboa, l’Equateur s’ancre à droite – Libération
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Son père, le magnat de la banane Alvaro Noboa, a échoué cinq fois en essayant de devenir président. Lui a réussi l’examen du premier coup. A 35 ans, Daniel Noboa devient le plus jeune président de l’histoire de l’Equateur. A la tête d’Action démocratique nationale, une coalition ratissant large de la droite libérale au centre gauche, et qu’il a qualifié lui-même d’«improbable», il a battu dimanche avec 52,1 % des voix Luisa González, candidate adoubée par l’ex-président de gauche Rafael Correa, aujourd’hui en exil après avoir été condamné pour corruption.
En jean et tee-shirt blanc, sans charisme ni talent oratoire, l’homme d’affaires s’est adressé à ses partisans dimanche soir depuis son fief provincial de Santa Elena, en promettant de ramener «la paix» dans un pays passé sous l’emprise des cartels mexicains du narcotrafic. «Demain, nous commencerons à travailler pour ce nouvel Equateur […], pour reconstruire un pays qui a été gravement touché par la violence, la corruption et la haine», a lancé le président élu.
Participation en baisse
Dans un pays traumatisé par une omniprésente violence politico-criminelle, où un des candidats favoris à la présidentielle, le centriste Fernando Villavicencio, ancien journaliste au discours anticorruption, a été assassiné à l’issue d’un meeting le 10 août, la victoire de la droite n’a pas donné lieu à des rassemblements ou des manifestations de liesse. La participation, traditionnellement élevée en raison du vote obligatoire, se situe à 82,3 %, en baisse de deux points par rapport au second tour de 2021, qui avait vu la victoire du banquier Guillermo Lasso.
Plus que le triomphe d’un quasi-débutant en politique (il a été député ces deux dernières années), les analystes mettent en avant la défaite du corréisme, force politique majeure en Equateur depuis 2006. Malgré son exil en Belgique, le pays de sa femme, l’ancien chef de l’Etat continue à influer sur la vie politique de l’Equateur, ce que lui reproche une partie de l’opinion. Au point de faire passer Luisa González pour une marionnette dont les fils étaient tirés depuis l’Europe.
«Le corréisme ne reviendra jamais»
Ancienne figure du «socialisme du XXIe siècle», aux côtés du Vénézuélien Hugo Chávez et du Bolivien Evo Morales, Rafael Correa, 60 ans, n’a pas renoncé à revenir au pouvoir. Pour cela, il doit bénéficier d’une grâce ou d’une amnistie qui effacerait sa condamnation à huit ans de détention et vingt-cinq ans de privation des droits électoraux prononcée en 2017. Une perspective qui s’éloigne pour lui, car cette décision n’est envisageable que si ses amis politiques sont aux affaires.
L’ancien président Lenín Moreno (2017-2021), successeur et proche de Correa avant de tourner le dos à son mentor et à la gauche, a eu un commentaire saignant sur Instagram : «En raison des graves dommages qu’il a causé à l’Equateur, le corréisme ne reviendra plus jamais.»
Marié, père de deux enfants, Daniel Noboa a un parcours de fils de milliardaire : études dans les meilleures universités américaines puis entrée dans la Noboa Corporation, le conglomérat familial bâti sur le commerce de la banane, dont l’Equateur est le premier producteur mondial. L’entreprise a régulièrement été épinglée pour des pratiques illégales comme le travail des enfants, l’entrave aux syndicats et la fraude fiscale.
Le «désastre total» des prisons
Longtemps deuxième source de devises dans l’économie équatorienne après le pétrole, la banane, désormais détrônée par la crevette, est un secteur en crise, en raison notamment de l’appréciation du dollar (l’unique monnaie du pays depuis l’abandon du sucre en 2000) par rapport à l’euro. Les petits producteurs ont par ailleurs mal pris l’annonce par Noboa de nommer au ministère de l’Agriculture Iván Wang, actuel dirigeant en Equateur de la multinationale américaine Dole.
Mais le défi numéro 1 du jeune président est sécuritaire. Son pays de 18 millions d’habitants, coincé entre les deux plus gros producteurs mondiaux de cocaïne, la Colombie et le Pérou, est devenu une base logistique pour le crime organisé et le narcotrafic, avec toutes les violences que cette situation comporte. Son programme électoral propose la «militarisation des ports et des frontières» ou le développement de la «vigilance citoyenne», un euphémisme pour l’autodéfense. Il souhaite aussi une refonte de l’administration pénitentiaire, qu’il qualifie de «désastre total», les prisons étant devenues des zones de non-droit autogérées par les cartels, et les quartiers généraux où ils planifient leurs activités.
La prise de fonction est prévue autour du 10 décembre, mais Noboa n’occupera le palais Carondelet à Quito, siège de la présidence, que pendant quinze mois, le temps de terminer le mandat entamé en 2021 par Guillermo Lasso, dont la démission en mai, sur fond de destitution imminente pour corruption, a provoqué le scrutin anticipé. Le nouveau président aura en outre fort à faire pour obtenir une majorité à l’Assemblée nationale, très fragmentée, où il ne dispose que de 13 députés, contre 48 pour Révolution Citoyenne, le parti corréiste, sur un total de 137 sièges.
Daniel Noboa semble avoir séduit l’électorat jeune, qui peut voter à partir de 16 ans (mais n’est obligé de le faire qu’à 18 ans). Il a même imposé une image «cool» presque malgré lui. Sa campagne a notamment utilisé de nombreuses silhouettes grandeur nature à son effigie, disposées dans les lieux publics. Ces mannequins ont rapidement été récupérés et détournés avec des graffitis, des perruques, du rouge à lèvres, des mises en scène : on les a vu emportés au café, à des anniversaires ou à la plage… Ces pitreries abondamment partagées sur les réseaux ont donné une visibilité accrue et inattendue au candidat, qui devra maintenant prouver qu’il est autre chose qu’un homme de carton.