Réviser ses classiques et miser sur l’après–Borne : Darmanin … – Marianne

C’est devenu un poncif : Gérald Darmanin a tatoué son manuel du sarkozysme sur un lobe du cerveau. Si bien qu’à tout moment, il peut en invoquer les préceptes. Exemple : en politique, il n’est jamais trop tôt pour poser des jalons. Après tout, l’ancien maire de Neuilly – un des éternels mentors du ministre de l’Intérieur – a fait savoir dès novembre 2003, soit un an et demi après la réélection de Jacques Chirac, qu’il pensait à la présidence de la République « pas simplement » en se rasant. En mai 2007, Nicolas Sarkozy posait ses valises à l’Elysée.
Comme lui, Gérald Darmanin prend date à quelques années de l’échéance phare. En l’occurence, l’élection présidentielle de 2027. Celle à laquelle Emmanuel Macron ne pourra pas se représenter, celle qui sera le théâtre d’une âpre lutte de succession. L’occupant de l’hôtel Beauvau ne le sait que trop bien. Le 27 août prochain, il effectuera sa première rentrée – en son nom propre, s’entend – à Tourcoing. Le même jour que celle des Républicains (LR) à Levens, dans les Alpes-Maritimes, fief d’Éric Ciotti. De quoi mettre la pression sur les fragiles héritiers de l’UMP, dont on guettera s’ils seront au complet dans le Sud et si certains oseront mettre un pied dans le Nord. Juste par curiosité…
Storytelling
Du contenu politique de l’événement tourquennois, on ne sait pas encore grand chose, si ce n’est le storytelling entretenu par Darmanin lui-même. « Réfléchir à des sujets qui concernent la France populaire qui est majoritaire », a-t-il glissé ce dimanche 13 août auprès du Figaro. Histoire de tenir en haleine un public qu’il ne néglige jamais : la droite bon teint, autoritaire mais jamais éloignée du courant central. Naguère chasse gardée du sarkozysme, ralliée au macronisme à mesure que celui-ci s’est imposé comme parti de l’ordre. Et dont la structure militante, Renaissance, a failli dans son implantation locale.
Le ministre de l’Intérieur se veut lucide sur son camp d’adoption, tout en faisant sienne l’idée de « dépassement » idéologique dont Emmanuel Macron s’est fait le chantre à partir de 2016. Son « en même temps » à lui. « Tous les partis de gouvernement ont une difficulté à parler aux gens qui gagnent moins de 2500 euros par mois », constate Gérald Darmanin dans le Figaro. À cela, il répond par des gadgets – le menu saucisse-frites à sa rentrée – et par des mises en garde. Tantôt à la majorité présidentielle, « pas assez audible chez le nouveau prolétariat » ; tantôt à ceux (autres que lui) qui entendent briguer l’Elysée, voués à l’échec s’ils s’en remettent « aux jurisprudences et aux marchés internationaux ».
Espace réduit
Troisième réponse, qui englobe les deux autres : un positionnement, amplement décortiqué au cours des dernières années. Ferme sur la question régalienne, plutôt keynésien sur le plan social, pour dire les choses rapidement. « C’est un des meilleurs politiques qu’on ait, lance sans ambages un cadre Renaissance issu de la gauche. En 2014, il élu maire d’une ville qui n’avait pas été à droite depuis vingt-cinq ans. À Tourcoing, les gens se disent qu’il est à leur hauteur, qu’il comprend leurs préoccupations. Sans faire injure à notre majorité, il n’y en a pas beaucoup chez nous dont on peut dire ça. » Précisons qu’à date, notre source n’a pas été conviée au rendez-vous du 27 août.
Tout cela est bien beau, mais quel est l’espace ? Dans les sondages, aucun doute, Édouard Philippe a plusieurs longueurs d’avance sur ses concurrents internes à la Macronie. Cela vaut aussi bien pour Gérald Darmanin que pour Bruno Le Maire, François Bayrou ou Gabriel Attal, pour citer les figures qui font peu mystère de leurs ambitions présidentielles. Quelle qu’en soit le moment d’exécution. Pas du genre kamikaze, le premier flic de France sait que Matignon – qui lui a échappé lors du dernier « ajustement » gouvernemental – est un objectif plus atteignable. À la faveur d’une relance du quinquennat après les européennes de 2024, par exemple.
Être le recours
« Son pari, c’est que si jamais Élisabeth Borne tient et s’il n’y a pas de motion de censure adoptée d’ici les européennes, peu importe les résultats du scrutin, Macron changera de Premier ministre. Dans cette configuration, ce n’est pas inutile d’avoir quelqu’un sous la main qui incarne un truc différent, analyse notre dirigeant Renaissance. Et si Borne saute d’ici les européennes, Gérald peut incarner un nouvel élan. Et il aura posé ses jalons. C’est le recours à Matignon. » D’ici là, Darmanin aura son propre test politique : le projet de loi sur l’immigration, dont on voit mal pour l’heure comment il produit une majorité à l’Assemblée nationale. Son autre souci, mesuré dans les sondages, est le rejet qu’il suscite toujours chez l’électorat féminin, malgré le non-lieu dont il a bénéficié en appel, en janvier dernier, dans le cadre d’une accusation de viol.
D’où l’intérêt de se laisser du temps. Par ailleurs, pour beaucoup, ne pas avoir été Premier ministre s’est avéré une bénédiction. En se voyant sucrer la place par Jean-Pierre Raffarin en 2002, Nicolas Sarkozy a pu forger sa statue au ministère de l’Intérieur. Et se démarquer en activisme d’un Jacques Chirac vieillissant, finissant. Darmanin n’a pas de Chirac. Édouard Philippe doit sa cote en grande partie à son passage à Matignon. La droite partidaire, ombre de ce qu’elle a été, est l’objet de tous les appétits. L’époque et les paramètres ont changé. Autant avancer à pas comptés.