« On a dû transférer un enfant à Rouen » : les lits de réanimation … – Le Parisien

Dans une dizaine de jours, il raccrochera sa blouse de chef de la structure mobile d’urgence et de réanimation (Smur) des Hauts-de-Seine. Une retraite après 40 ans de service dans cet hôpital sur route qui file, sirènes hurlantes, prendre en charge des malades et sauver des vies. Ses derniers jours d’un métier-passion, le Dr Gilles Jourdain les passe à chercher encore et encore des places pour les enfants. Et ce, avant même que l’automne n’apporte son lot d’épidémies.
Marqué d’avoir vu son équipe transférer un nourrisson, ce dimanche 13 août, à Rouen (Seine-Maritime), faute de lits en Île-de-France pour l’accueillir, il nous confie son désarroi. Il n’a aucun compte à régler, ni aigreur avant de partir, juste le besoin de « lancer l’alerte », pour que l’hiver 2023 ne ressemble pas au précédent, lors duquel des dizaines d’enfants avaient dû être soignés dans d’autres régions.
Transférer un enfant souffrant d’une bronchiolite au cœur du mois d’août, est-ce courant ?
DR GILLES JOURDAIN. Non, pas pour ce motif, et ne pas être capable de garder « nos » enfants en Île-de-France à cette période de l’année est très inquiétant. Depuis mon retour de vacances, début août, la situation est extrêmement tendue. Nous avons du mal à trouver des hôpitaux pour soigner les petits que nous transportons et qui nécessitent des soins lourds. Il faut appeler, encore et encore. Ce dimanche, c’était la goutte d’eau…
Que s’est-il passé ?
En début de soirée, nous avons pris en charge un nourrisson de deux mois, avec une grande difficulté respiratoire. Sa bronchiolite s’aggravait, le petit garçon avait besoin d’être admis en réanimation. Les équipes ont fait trois fois le tour des places disponibles dans les cinq services d’Île-de-France ayant les compétences nécessaires pour ce type de soins. Rien, zéro lit. Nous avons dû le conduire à Rouen (Seine-Maritime), la structure la plus proche. La famille était désemparée. Avoir un enfant malade est déjà très dur, le voir partir loin de chez lui rajoute de l’inquiétude et de la colère.
Est-ce dû à un début précoce de la bronchiolite ?
Pas du tout. J’ai l’habitude de dire que le pic de bronchiolite arrive en même temps que le beaujolais nouveau, mais la maladie circule de manière endémique toute l’année. Il n’y a rien de nouveau là-dedans. On va me rétorquer que c’est un concours de circonstances, que ça peut arriver, mais la vérité est que nous sommes à l’os. Les tensions en personnels soignants sont si fortes que la situation dégradée de l’hiver perdure et se refait sentir dès l’été. Les autorités semblent incapables d’apporter une solution. Elles mettent des rustines sur des voies d’eau.
Les réanimations pédiatriques sont déjà toutes saturées ?
En Île-de-France, il manquait ce lundi 36 lits sur les 102 de réanimation et de soins continus pédiatriques. À Necker, ils ont zéro place disponible. Idem à Robert-Debré, au Kremlin-Bicêtre ou à Raymond-Poincarré. À Trousseau, ils sont en « surbooking ».
Vous craignez pour l’automne/hiver à venir ?
Je ne suis pas devin sur l’ampleur des épidémies à venir que ce soit le Covid, la grippe ou la bronchiolite, mais on nous met clairement dans des conditions difficiles pour affronter la rentrée. Si cela continue ainsi, on ira au casse-pipe. Je pense avant tout aux patients qui pourraient en pâtir. Avec mes collègues et confrères, j’ai déjà alerté l’an passé, et les années d’avant… rien ne bouge. Notre crainte à tous est de vivre un hiver semblable à celui de 2022. Les pouvoirs publics ont mis la situation sur le dos d’une forte épidémie de bronchiolite, mais c’est bien les pénuries de soignants qui ont été décisives. On est toujours sur un fil, à jouer avec les limites.
L’arrivée du Beyfortus, le premier traitement préventif contre la bronchiolite, peut-elle changer la donne ?
J’ai entendu pendant mes quarante ans de carrière qu’il y aurait « bientôt » un vaccin contre le VRS… Je la termine en sachant qu’au 1er septembre, les premières doses de cet anticorps monoclonal seront disponibles. C’est une excellente nouvelle qui pourrait faire diminuer le pic épidémique de 20 à 30 %. Malheureusement, j’ai peur de manques d’adhésion des jeunes parents. Il y a tant de réticence depuis le Covid. Le risque est de devoir attendre trois, quatre, cinq ans avant de voir les premiers effets. Nous aurons les doses pour 45 % des nouveau-nés, mais seront-elles utilisées ? C’est toute la question et je croise les doigts.